22 Avr 2024
Jean-Luc Deuffic

I N C I P I T

Ce blog, dédié au maître Léopold Delisle (1826-1910) et à l’érudit breton François Duine, clericus dolensis (1870-1924) est exclusivement (ou presque !) consacré au manuscrit médiéval, jusqu’à ses rapports avec les premiers incunables.
This blog is dedicated to the great manuscript scholar Léopold Delisle (1826-1910) and to François Duine, clericus dolensis (1870-1924), and (almost exclusively!) to medieval manuscripts, up to and including their relationships with early printing.
Jean-Luc Deuffic
Contact : pecia29@orange.fr /// Site web /// Academia.edu

[ Illustrations : Cambrai BM, 620 . © Institut de recherche et d’histoire des textes – CNRS ] – Léopold Delisle – François Duine, hagiographe, historien ]

L A   R E V U E  /  T H E    J O U R N A L
PECIA : LE LIVRE ET L’ECRIT [link] – Edition : Brepols Publishers (Turnhout)

DERNIERS VOLUMES PARUS
Pecia. Le livre et l’écrit, 19 (2016): Outils et pratiques des artisans du livre au Moyen Âge.
Pecia. Le livre et l’écrit, 20 (2017) : Livres de maîtres, livres d’étudiants: le manuscrit universitaire au Moyen Âge
Pecia. Le livre et l’écrit, 21 (2018). Livre manuscrit et mécénat du Moyen Âge à la Renaissance
Pecia. Le livre et l’écrit, 22 (2019) et 23 (2020). Le manuscrit médiéval: texte, objet et outil de transmission. Volume I et volume II.
Pecia. Le livre et l’écrit, 23 (2021). Du manuscrit à l’imprimé: une autre modernité.
Pecia. Le livre et l’écrit, 24 (2022). Miscellanées. Volume du 20e anniversaire.

Toujours disponible
Jean-Luc Deuffic. Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Livres d’heures, de piété, de dévotion et ouvrages associés antérieurs à 1790. Présentation [lien / link]

Nos divers sites sur le manuscrit médiéval, les anciennes bibliothèques (et autres !) …

Nouveauté : Le livre d’heures enluminé en Bretagne (BREPOLS Publishers)

31 Mar 2024
Jean-Luc Deuffic

Le livre d’heures et de raison de Marie Le Poigneur (vers 1500)

Le dernier catalogue de Adam Weinberger / Rare Books/ et Konstantinopel / R. A. Van Den Graven, n° 15 /2024, nous offre un parfait éventail de ce que l’on peut trouver de pièces de qualité chez des libraires désireux de proposer de « l’extraordinaire ». C’est à ce point de vue une réussite.
Parmi les ouvrages manuscrits se détachent deux livres d’heures dont un m’a tout de suite intéressé, dans la mesure où il a servi de « livre de raison ». Passé en vente chez Sotheby’s en 1990, puis chez Christie’s en 2022, il n’a pas échappé, de par son originalité, aux spécialistes de ce genre d’ouvrages, si recherchés.
Nous sommes ici en présence d’un livre d’heures, des années 1490/1500, à l’usage d’Amiens, usage liturgique confirmé par le calendrier avec des entrées particulières comme celles des saints Firmin (8 janvier et 1er et 25 septembre), Honoré (16 mai) et Fuscien et Gentien (7 décembre).
Question décoration, elle est pour l’essentiel attribuée à un enlumineur proche du Maître de la Chronique Scandaleuse, nommé d’après BnF ms. Clairambault 486, peut-être influencé par le Maître de Martainville 183, nommé d’après un livre d’heures de la Bibliothèque municipale de Rouen,  tous deux actifs à Paris. Les enluminures des ff. 7 v° et 13 v° pourraient être reliées à un peintre formé à Rouen. Aussi, ce lien avec la Normandie nous ramène à la provenance de ce riche livre d’heures.
Les sujets des miniatures à pleine page sont : l’Annonciation f. 7, la Visitation f. 13v, la Nativité f. 19v, l’Annonce aux bergers f. 22v, l’Adoration des Mages f. 25v, la Présentation au Temple f. 28v, la Fuite en Egypte f. 31v, le Couronnement de la Vierge f. 35v, Job sur le fumier f. 49v, la Messe de saint Grégoire f. 70v, Lamentation f. 72v, le martyre de st André f. 76v, le martyre de sainte Barbe f. 78v. Les grandes miniatures de la section ajoutée : saint Christophe avec un homme agenouillé f. 86, saint Jacques avec un homme agenouillé f. 87v, saint Antoine abbé f. 88v, sainte Marguerite 89v. Les sujets petites miniatures : saint Nicolas f. 74, saint Sébastien f. 75, Notre-Dame de Boulogne : la Vierge et l’Enfant dans une barque f.79, les âmes dans les flammes du purgatoire f. 81.

Provenance
Parmi les inscriptions portées par ce manuscrit, la plus ancienne, en tête du volume, nous apprend que Jeanne de Con… née et native de Vallen… dauphine a donné ce livre à sa petite-fille, Marie le Poigneur ; vraisemblablement, la même Marie le Poigneur qui précise que le manuscrit lui appartient en 1583, f. 38v° ; au f. 90v° sont enregistrées les naissances d’Angélique en 1616 et de Marie en 1617, petites-filles de Marie le Poigneur et de Robert Malet, seigneur de St-Ouen, par leur fille Yolande Malet et Adrien de Bailleul, seigneur de Blangues. D’autres inscriptions se rapportent à la famille Le Poigneur de Goustimesnil, ff. 38v°-39 : Louis le Poigneur, seigneur de Limésy, épousa Anne de Goustimesnil (décédée en 1589. Au verso de la garde, une inscription de la « petite de Cresteville », Louise Catherine Françoise Chardon de Filières (1716-1801), fille d’Olivier Chardon de Filières et épouse de Jacques Marie François Eudes de Catteville, seigneur de Mirville (1709-1759).
A noter les initiales à profusion: “JG” “BL” “GY” “GM” “BJ” “GR” et la devise : “JE ME PLAINS“, inconnue à ce jour.

Contenu
Calendrier, ff. 1-6v° ; Heures de la Vierge, usage d’Amiens, ff. 8-37v° ; Psaumes et litanies pénitentielles, ff. 40-48v° ; court office des Morts, usage d’Amiens, ff. 50-62 ; la Passion selon Jean, suivie de prières, ff. 63-70 ; prières sur le Sacrement, ff. 71-72 ; Salve Regina et mémoires des saints Jean-Baptiste, Antoine de Padoue, Nicolas, Sauve, Adrien, Sébastien, Michel, André, Marie-Madeleine, Catherine, Geneviève et Barbe, prières à la Vierge, pour les morts et l’Ave Maria (manque la fin), ff. 73-85v° ; ajout: mémoires des saints Christophe, Jacques, Antoine, abbé et Marguerite, ff. 86-90.

Quelques informations sur les différents possesseurs de ce livre d’heures:
Sur la famille Goustimesnil, D’or à trois marteaux de gueules
voir http://yport.web.free.fr/goustimesnil.php

Sur Louise-Catherine-Françoise Chardon de Finières :
“Le 5me jour de juillet 1716 est née de légitime mariage Louise Françoise Catherine fille de messire Jacques Joseph Olivier Chardon de Filieres, seigneur et patron de Pierrefiques, de St Jean Duthaney et de Gonneville en partie et de noble dame Françoise Catherine Dumont, baptisée le 9eme de juillet au dit an, nommée sur les fonts baptismaux par Alexandre Robert Louys Mallet de Graville seigneur et patron de Crasmesnil et de Oudalle et damoiselle Catherine Le Rous des trois Pierres”.
Mariée le 21 avril 1732, Gommerville,
Époux : “messire Jacques François Marie Eudes, chevalier, seigneur et patron de Mirville, Catteville, Sotteville, Gauliers, Bordeaux et autres lieux
fils de feu messire Jacques Eudes chevalier, seigneur de Sotteville, Catteville, Ransonville et autres lieux, et de noble dame Françoise Demare de Bellefosse”

Sur Monsieur de Catteville, Jacques-François Eudes:
Ce dimanche vingt deuzieme avril mil sept cent cinquante neuf, le corps de Jacques François Eude escuyer et puissant seigneur & patron de cette paroisse de Milleville (Mirville) chevalier de l’ordre de Saint Loüis décédé de vendredy 20eme à filières hameau de Gommerville d’une mort subite agé de viron cinquante ans a esté inhumé dans le choeur de cette église par monsieur l’abbé de Romé curé de Bernière soussigné & présence des parens & amis soussignés.
Signatures : Le Marinier de Durdan, De Romé curé de Bernière, Duval pretre curé de Mirville, Jacqueray curé de Beuzeville, Grenet curé de Maclou (?), Barbarey pretre

Famille de Mirville et familles alliées (Paris, Archives nationales)
https://francearchives.gouv.fr/facomponent/07ae4df240bc5c570621bdfd282c603009e45183

Arrêt du conseil remettant en possession de ses biens Louise Catherine Françoise Chardon de Filières, épouse séparée de Jacques-François-Marie Eudes de Catteville. 19 avril 1749.
Inventaire après décès de Jacques-François-Marie Eudes de Catteville. 21 mai 1759.
Vente par Marie-Louise-Catherine Françoise Chardon de Fillières, et par les dames de Catteville et de La Chapelle, héritières de Marie-Madeleine Chardon, leur tante, à Ignace Le Darroys, curé de Salmonville (Seine-Maritime), de 90 livres de rente. 14 mai 1755.
Vente par Louise-Catherine-Françoise Chardon de Fillières de bois à Mirville (Seine-Maritime). 9 octobre 1769.

Robert A. van den Graven
Kortenaerstraat 17
7513 AC Enschede   The Netherlands
+31 (0) 53 4324675
https://www.konstantinopel.nl/
konstantinopel@gmail.com

Catalogue n° 15/ 2024
https://www.konstantinopel.nl/_downloads/f07456d66853600ee0ea9e46b3161c56

Adam Weinberger / Rare Books
https://www.adamweinbergerrarebooks.com/

25 Mar 2024
Jean-Luc Deuffic

Le livre d’heures et de raison de Maximilien Turpin, conseiller à la Gouvernance de Lille ( † 1704)

 

La maison de vente SCHWAB, de Mannheim (Allemagne) met aux enchères un livre d’heures un peu particulier puisqu’il fut également utilisé comme de “livre de raison” par un personnage important, Maximilien Turpin. Aussi, le manuscrit, assez modeste il est vrai, porte plusieurs annotations, essentiellement au cours du calendrier.

Maximilien Turpin, seigneur de Gruson et de Pérenchicourt, fils de Jean Turpin et de Marie Noullet, fut baptisé à Lille, en la paroisse Saint-Étienne, le 22 janvier 1634. Avocat, puis conseiller à la Gouvernance de Lille, bourgeois de cette ville par relief du 24 juillet 1663, il décède dans la paroisse Saint-Maurice, à Lille, le 29 janvier 1704.  Il épouse, dans cette dernière église : 1°, le 1er février 1663, Marie-Barbe de Francqueville, fille  de Anselme de Francqueville et de Barbe de Coninck ; 2°, vers 1681, Marie Aulent, fille de Wallerand Aulent et de Brigitte Cambier.

Il fut reçu en 1670 comme chevalier servant des Ordres royaux et militaires de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem.

Voici les quelques notes transcrites par Maximilien Turpin sur son livre d’heures.

Je soussigné Maximilien Turpin doyen conseiller du Roy à la gouvernance de Lille ay fait les annotations cy devant afin que mes enfans prient Dieu pour les âmes de leurs bons parents et chers trespassez et s’il se peut que l’on dise à perpétuité dans la chapelle de Le Cour de Perenchies le De Profondis a chacque anniversaire de mes parens et chers susnommez et de moy quand je seray mort, je prie que l’on dépose mon corps dans le cemetiere de Perenchies devant le portail sans pompe et sans apparail
Turpin de Grisons

au 29 janvier : (d’une écriture différente des autres annotation, sans doute celle de sa fille Marie-Antoinette) mort de Mr Maximilien Turpin mon père r. i. p. 1704
8 février 1691 Mort de Mr Pierre Aulent mon beaufrère R.I.P.
9 mars Mort de Mlle Anne Marie Aulent ma mère 1715 r. i. p.
Le 23 juillet 1681 mourut Mr Charles de Francqueville mon beaufrère quy a ordonné l’office de deux messes par sepmaine en ceste sienne maison de la Cour de Perenchies R.I.P.
J’en suis chargé et ordonne a ma fille Marie Barbe et a ses heritiers de manquer jamais. Turpin de Gruisons
Le 27 septembre 1687 mourut de … mon frère R.I.P.
Le 23e aoust 1678 mourut dame Marie de Francqueville ma chère épouse R.I.P.
Le 15 septembre 1672 mourut dalle Barbe de Coninck ma belle mère fille et héritiere de Jean sr des Tombes et de la Cour de Perenchies. R.I.P.
Le 12 juillet 1637 mourut Mr Jan de Coninck sr des Tombes et de la Cour de Perenchies R.I.P.
Le 17 octobre mourut Me J L? Turpin mon frère f? du bailli de Lille
Le 3 décembre mourut Monsieur Anselme de Francqueville mon beau père R.I.P.
Le 19 décembre 1691 mort da(moise)lle Fra(nçoise?) de Francqueville ma belle (?) R.I.P.

Une note quelque peu énigmatique … : Je dois a Monsieur de ?arcomy deux milles sept cens florins, a Mr Elletin? Jacobs quatre cens florins a Mr de Lozquiche? cens cinquante florins quy font 3550 florins que mes trois enfans …ont par egale portion et pour des raisons connues a toute la famille. Je conseille a ma femme de se … le 19 septembre 1695

Quant au livre d’heures (XVe s.), il comporte 13 miniatures à pleine page, et comme c’était l’usage en Flandre, sur des feuillets intercalaires, pour la plupart vierges au verso. Elles sont attribuées à des proches de l’atelier du maître Willem Vrelant, et suivent un programme pictural habituel à Bruges : Crucifixion, Pentecôte, Marie intronisée avec l’Enfant Jésus, Annonciation, Visitation, Nativité, Annonce aux bergers, Adoration des mages, Présentation au Temple, Fuite en Égypte, Infanticide de Bethléem, le Roi David en prière, Résurrection de Lazare. Une petite miniature de la Piéta illustre l’Obsecro te (forme masculine), et 5 autres petites miniatures se rapporte aux suffrages des saint(e)s : Jean-Baptiste, Sébastien, Antoine, Marie-Madeleine, Catherine d’Alexandrie, Barbe.
Contenu : Calendrier, heures de la sainte Croix, heures du Saint-Esprit, office de la Vierge Marie, psaumes et Litanies de la pénitence, office des morts, Obsecro te et O intemerata, suffrages. Format : 17,6 x 12 cm (10 x 6cm). Provenance : Maximilien Turpin, jusqu’à sa mort en 1704, puis propriété de sa fille Marie-Antoinette (1682-1751), mariée le 3 avril 1736, Lille, Saint-Maurice, avec Philippe Joseph Joachim Walrave ; Anvers, au 19e siècle (reliure); collection privée allemande.

Vente SCHWAB

Sources:
http://paroisse.emmanuel.free.fr/Archives_hist/Gruson/Arch_Gruson04.htm

24 Jan 2024
Jean-Luc Deuffic

Yves Le Berre : “Le Mirouër de la mort” (Brest: CRBC, 2024)

Il m’est agréable de présenter ici le magnifique ouvrage de mon ami Yves Le Berre, dont les travaux sur les textes bretons continuent d’enrichir l’histoire culturelle de la Bretagne. Le CRBC (Centre de Recherche Bretonne et Celtique) de Brest en assure la publication.

Composée en 1519, cette œuvre de 3602 vers vit le jour sous la plume de Jean Larcher le vieux (maître Jehan an Archer), de Plougonven, près de Morlaix  maestr Iehan an Archer coz, à parhos Ploegonven. Elle donna lieu à une impression, en 1575, exécutée au couvent franciscain de Cuburien, près de Morlaix.

LE MIROUER DE la Mort en Breton, auquel doctement et Devotement est trecté des quatre fins de l’home : c’est à scavoyr de la Mort, du dernier Jugement, du très-sacré Paradis : et de l’horible Prison de L’enfer et ses infinis tourments. Tel est le titre de cet ouvrage rarissime, puisque ne subsiste qu’un seul exemplaire, conservé à la Bibliothèque nationale de France, provenant de l’ancienne collection de Kerdanet de Lesneven, aujourd’hui déposée au CRBC de Brest.  Des marques de provenance montrent que l’ouvrage a circulé. Ainsi, remarque-t-on les ex-libris de Jean Caro, un prêtre de Sizun, datée de 1709, et celle de Jean-Marie Le Henaff, de Morlaix. Le premier pourrait être celui de “Messire Jan CAROFF, pbre my-frère desdits mineurs, demeurant au lieu de Poullouduff, paroisse de Sizun”, présent le 14 décembre 1709, à la tutelle des enfants d’Alain Caro et Marie Fagot, de Sizun (Quimper, ADF, 16B 406). La marque des Récollets de Cuburien s’y trouve également, dans la mesure où le Mirouer est sorti des presses éphémères de ce couvent.

Contrairement à Emile Ernault qui s’est surtout attardé sur l’aspect physique du Mirouer et de son texte, de ses sources, Yves Le Berre, dans son remarquable travail, “pose la question des qualités poétique, didactique ou spirituelle de ces vers, de leur usage dans la société bretonne …” . “Au terme d’une analyse fine, il dévoile en Iehan un véritable Maître, qui a su transformer une banalité désagréable en une œuvre véritable, qui atteste de la riche culture” bretonne de ce XVIe siècle.

Gwenole Le Menn, “L’imprimerie des franciscains de Cuburien”, MSHAB (en ligne)

Mirouer: Edition de 1575 numérisée sur Gallica.
Mirouer: Edition d’Emile Ernault  sur Gallica.

Yves Le Berre (fiche bibliographique)

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