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16 Déc 2024
Jean-Luc Deuffic

Pecia. Le livre et l’écrit, 26 : Hommage à François Duine (1870-1924)

The year 2024 marks the centenary of the death of the Breton scholar François Duine (1870-1924), and « PECIA. Le livre et l’écrit » could not pass up the opportunity to dedicate this volume to the clericus dolensis. Several of his research fields are thus covered in these pages. Breton hagiography and liturgy, with contributions on the founding saints Samson and Malo and on liturgical books for the diocese of Dol, to which François Duine was viscerally devoted and which never ceased to provide him with material to explore, always as closely as possible to manuscript sources, the areas he cherished. The Dolois priest, in addition to the complex character and varied portrayal he has left us, made an indelible mark on Breton historiography. His highly original style and the strength of his work on a range of subjects, for which he remains the ultimate authority, have contributed in making François Duine’s writings, even today, an essential source of documentation.


L’année 2024, marquant le centenaire de la mort de l’érudit breton François Duine (1870-1924), « PECIA. Le livre et l’écrit » ne pouvait manquer l’occasion de dédier ce volume au clericus dolensis. Aussi, plusieurs de ses champs de recherche seront abordés dans ces pages. L’hagiographie et la liturgie bretonne, avec des contributions sur les saints fondateurs Samson et Malo, sur les livres liturgiques en usage dans le diocèse de Dol, auquel François Duine était viscéralement attaché, n’ont eu de cesse de lui fournir matière à exploiter, toujours au plus près des sources manuscrites, ces domaines qu’il affectionnait. Le prêtre dolois, au-delà du personnage complexe et de l’image contrastée qu’il nous laisse, a marqué à tout jamais l’historiographie bretonne. Son style, particulièrement original, sa puissance de travail sur divers sujets dont il reste l’ultime référence, ont contribué à faire de l’œuvre de François Duine, encore aujourd’hui, une documentation incontournable.

TABLE OF CONTENTS / SOMMAIRE

Jean-Luc Deuffic, Autour des reliques de saint Samson. Les livres liturgiques du diocèse de Dol. Approche bibliographique
Mickaël Gendry, Malo, l’évêché d’Alet et les sources hagiographiques
Colleen M. Curran, The Landévennec Group
Anna Mikhalchuk, Dom Guy-Alexis Lobineau, premier historien de la Bretagne et un véritable Breton ?
Andrey Morvan, Diaphaneity and Spirituality: Seeing through Watermarks: Describing and Analyzing Religious Watermarks from the Late Middle Ages
Gerardo Fabián Rodríguez et Lidia Raquel Miranda, From Devotional Sensorium to Hagiosensorium : Los Milagros de Guadalupe as a Sacralizing Text of the Experience of Christian Captives
Jean-Luc Deuffic, Libraires bretons du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) : une première ‘handlist’
Index des manuscrits cités

BREPOLS PUBLISHERS

(Photo François Duine, colorisée et numérisée par Patrick Amiot)

20 Nov 2024
Jean-Luc Deuffic

La bibliothèque d’un chanoine breton d’Avignon : Judicaël Le Cunff († 1465)

L’historien Léon-Honoré Labande, dans son Avignon au XVe siècle [1] le nomme Joël Ledoux. Pour ma part, je souhaite l’appeler par son patronyme breton, Judicaël Le Cunff [A], mais cela en toute hypothèse, à partir de la forme latine Judicellus Dulcis.
En définitive, je n’ai encore rien trouvé sur le personnage outre ce que nous apprend l’érudit docteur Pierre Pansier (1864-1934) dans son inestimable ouvrage sur l’Histoire du livre et de l’imprimerie à Avignon du XIVe au XVIe siècle (Avignon, 1922). Sans doute les archives notariales de Me Pons pourraient nous en apprendre d’avantage.
Judicaël Le Cunff décède en 1465. Il est alors chanoine de la collégiale Saint-Pierre d’Avignon et sa bibliothèque n’est pas négligeable. Elle est manifestement celle d’un juriste. À noter, qu’il n’avait pas oublié sa Bretagne natale en conservant un bréviaire ad usum Britanie, sans que l’on sache pourtant à l’usage de quel diocèse, ce qui nous aurait appris son origine précise. Voici donc les livres de notre chanoine avec quelques commentaires sur leur contenu ou leur auteur:

  1. 1. Primo quasdam decretales magni voluminis.
  2. 2. Item alias decretales eciam magni voluminis copertas pelle viridi antiqua sine fermalhiis.
  3. 3. Item alie decretales magni voluminis copertas corio albo sine fermalhiis.
  4. 4. Item alias decretales copertas pelle rubea.
  5. 5. Item sextum decretalium copertum pelle alba.
  6. 6. Item Clementinas copertas pelle alba.
  7. 7. Item unum decretum parvi voluminis sine glossis pelle rubea antiqua [copertum].
  8. 8. Item summa Asonis abreviata coperta pelle alba antiqua.
    Summa Azonis., composée entre 1208 et 1210. Biblissima : https://data.biblissima.fr/entity/Q283944. Autres graphies : Azo (11..-1230?) | Summa Azonis; Azo, Portius ..
    Voir Hélène Biu, « La Somme Acé : prolégomènes à une étude de la traduction française de la « Summa Azonis» d’après le manuscrit Bibl. Vat., Reg. lat. 1063 », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 167-2, 2009, p. 417-464.
    9. Item repertorium (en blanc) copertum pelle alba antiqua.
    10. Item reportaciones magistri Jacobi de Bellovisu super feudis ceptis in pergameno albo.
    Jacobus de Belviso (1270-1330), Commentarii in authenticum et consuetudines feudorum
    https://www.e-manuscripta.ch/bau/content/titleinfo/4639910
    11.
    Item summa magistri Gaufridi de Trano.
    Summa Gaufredi de Trano super titulis decretalium
    . Gaufridus de Trano (11..-1245?). Geoffroy de Trani. Godefridus Tranensis (+ 1245). Etudie à l’université de Bologne, auditeur litterarum contradictarum, prébendaire de Gainford, dans le diocèse de Durham en Angleterre. Professeur à l’université de Naples.
    12. Item instituta.
    13. Item instituta.
    14. Item psalterium glossatum copertum corio nigro cum duobus fermalhiis.
    15. Item viaticus copertus postibus et pelle lacerata.
    Breviarium Constantini dictum viaticum. Commentaires de Gerard de Crémone.
    16. Item alium librum Aristotelis in pergameno.
    Aristote
    17. Item alius liber in pergameno.
    18. Liber de ordine judiciorum.
    19. Item liber apparatus domini archidiaconi super sexto decretalium sine postibus et copertura.
    Apparatus domini archidiaconi Bononiensis super sexto Decretalium. » De Gui de Baisio.
    20. Item summa de casibus magistri Raymundi [de Penafort ?]
    Somme pénitentielle de Raymond de Peñafort, Summa de casibus généralement accompagné de la Summa de matrimonio, avec la glose de Guillaume de Rennes
    21. Item sextus sine glosa et postibus.
    22. Liber objectionum contra partes.
    23. Item liber districtionum Petri de Bellapertita.
    Petri de Bella Pertica. Pierre de Belleperche, appelé à son époque le roi des légistes, né Pierre de Breschard de Villars à Lucenay-sur-Allier vers 12301 et mort le 17 janvier 1308 à Paris, évêque d’Auxerre au début du XIVe siècle, chancelier de France, garde des sceaux.
    24. Item summa magistri Bartholomei Bressien, de questionibus.
    Summa super titulis decretalium
    de Barthélémy de Brescia.
    25. Item casus breves decretalium in pergameno compositi a domino Raymundo de Galgres.
    Casus breves Raymundi de Salgis super V libris Decretalium necnon super Sexto et Clementinis
    (voir Reims, BM, 746). Le canoniste Raymond de Salgues enseigne à Paris en 1349. Chartul. Univ. Paris, t. II, 1, p. 653-654. Successivement doyen du chapitre de Paris, évêque d’Elne, archevêque d’Embrun, patriarche d’Antioche. Raimond de Salgues est l’auteur de plusieurs écrits, notamment les Casus breves sur les décrétales, où les principes du droit sont ramenés à des formules assez brèves.
    26. Item summa Mathei [Angeli] in pergameno.
    Matheus Angeli Johannis Cinthii 1319 . Bertram, Martin/Rehberg, Andreas (1997), Matheus Angeli Johannis Cinthii: Un commentatore romano delle Clementine e lo Studium Urbis nel 1320. In: QFIAB 77 (1997). Max Niemeyer Verlag, Tübingen. S. 84–143. (= Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken). Online unter: https://perspectivia.net/receive/ploneimport4_mods_00002266.
    27.
    Item doctrinale cum nonnullis aliis libris in papiro et in uno volumine copertum corio figurat.
    Le doctrinal, avec quelques autres livres, sur papier, en un seul volume recouvert de cuir.
    28. Item manipulum curatorum in parvo volumine in papiro copertum pelle rubea.
    Guido de Monterocherio. Le Manipulus curatorum composé au début du XIVe siècle est destiné aux prêtres séculiers et réguliers. Succès : 124 manuscrits, 22 éditions incunables
    29. Meditaciones beati Bernardi in pargameno.
    Ps.-Bernardus Claraevallensis, Méditations attribuées à saint Bernard,
    30. Item unus liber medicine in vulgari et in papiro compilatum per magistrum Lanfra(n)chi.
    La Chirurgia Parva de Lanfranc de Milan écrite à Lyon en 1296 et dédiée à Philippe le Bel. Claude de Tovar, « Les versions françaises de la Chirurgia Parva de Lanfranc de Milan. Étude de la tradition manuscrite », dans Revue d’Histoire des Textes, vol. 12-13, 1982-1983, 1985, p. 195-262.
    31. Item liber stelle comete in papiro cum duobus fermalhiis.
    32. Item unum formolarium in papiro copertum pelle viridi.
    33. Item aliud formolarium in papiro.
    34. Item unus caternus incipiens in primo Reverendo in Christo.
    35. Item tabula supra decretalium (sic) in pergameno que dicitur domini Yvonis Cadron [2].
    36. Item aliud formolarium in papiro.
    37. Item breviarium unum ad usum Britanie, in fine est officium XI milium virginum.
    38. Item aliud breviarium ad usum romanum parvi voluminis male religatum.
    39. Item aliud breviarium quod fuit domini Petri Vilaris [3] condam, cum duobus fermalhiis argenti ad usum romanum.
    40. Item duos cisternos florum sanctorum in pergameno.
    41. Item unum formularium in papiro antiqum.
    42. Item sextus libri sexti.
    43. Item liber cantus.
    44. Item parvus liber in pergameno.
    45. Item alius liber in pergameno.

Source : Inventarium factum de bonis dni Judicelli Dulcis, canonici ecclesie collegiate S. Petri Avinionen. M CCCC sexagesimo quinto et die XIII novembris …. Sequntur designationes librorum (Archives Départementales du Vaucluse, notaires, fonds Pons, 46, fol. 198).
Edition : Pierre Pansier, Histoire du livre et de l’imprimerie à Avignon du XIVe au XVIe siècle, tome 1,  Avignon, 1922, p. 64-66.

NOTES
[A] En fait, un autre patronyme breton pourrait convenir, correspondant à une traduction du latin dulcis, « doux ». Il s’agit de Flour, Le Flour, nom porté au Moyen Âge par plusieurs familles nobles de Cornouaille et du Vannetais.
[1]
Léon-Honoré Labande, Avignon au xve siècle: Légation de Charles de Bourbon et du cardinal Julien de La Royère, Monaco-Paris, 1920, p. 20.
[2] Yves de Chartres ?
[3] Secrétaire à la curie

ILLUSTRATION  : Livre de prières de Clément VII, vers 1378-1383. Avignon, Bibl. Mun., ms. 6733, fol. 55. © IRHT / AVIGNON

17 Oct 2024
Jean-Luc Deuffic

À propos du « Catéchisme breton » de Gilles de Kerampuil (1576) : Léopold Delisle et Théodore Hersart de La Villemarqué

Le catéchisme breton du recteur cornouaillais Gilles de Kerampuil, daté de 1576, dont un des deux exemplaires connus, celui du comte de Kergariou, a été mis en vente récemment, a fait l’objet d’une correspondance en 1894/1895 entre le directeur de la Bibliothèque nationale, l’érudit Léopold Delisle, et le philologue breton Hersart de La Villemarqué. Je publie ici deux lettres susceptibles d’apporter quelques lumières sur l’histoire d’un document patrimonial breton exceptionnel, extraites du fonds de l’académicien (des Inscriptions et Belles-Lettres) conservées à Quimper, par les Archives départementales du Finistère :

Lettres de Léopold Delisle à Théodore Hersart de La Villemarqué
Paris, le 20 décembre 1894
Monsieur le vicomte et très honoré confrère,
A la veille d’acheter l’exemplaire des Heures bretonnes qui a appartenu à M. Pol de Courcy [1], j’ai dû me rendre compte de l’intérêt de ce livre et sans me préoccuper de sa valeur philologique, que vous et M. Whitley Stokes [2] vous avez pleinement mise en relief, je l’ai examiné simplement en bibliographe pour en déterminer l’origine. J’ai établi, je crois, que ce petit volume est postérieur à 1550, qu’il a été exécuté dans l’atelier parisien de Kerver et qu’il a été fait à l’usage du diocèse de Saint-Pol-de-Léon. Ces points seront exposés avec preuves à l’appui dans une petite notice dont vous et La Borderie vous aurez la primeur.
Je soupçonne qu’il y a un étroit lien de parenté entre les Heures et la traduction bretonne du Catéchisme de Canisius. J’aurais donc grand intérêt à voir le dit Catéchisme, dont aucun exemplaire n’est connu à Paris. Vous, à qui n’échappe rien de ce qui touche à votre chère Bretagne, vous pouvez me venir en aide, en me disant dans quel sanctuaire est conservé le Catéchisme et en me procurant, s’il y a lieu, la communication pendant quelques heures d’un livre qui n’a pas encore été décrit avec la minutie bibliographique dont il est digne.
Si, comme je l’espère avec tous mes confrères de l’Académie, vous deviez venir prendre part à la nomination du successeur de M. Duruy, ne pourriez vous pas vous faire donner pour compagnon de voyage le précieux catéchisme que je suis si curieux de voir ? C’est là, je le sais, une curiosité bien ambitieuse; mais vous savez jusqu’où va l’importunité de ceux qui s’adressent à vous pour obtenir aide et protection dans un domaine scientifique qui vous appartient de droit de naissance et par droit de conquête. Vous excuserez donc ma témérité, et vous agréerez, monsieur le vicomte et très honoré confrère, avec les vœux que Madame Delisle et moi nous formons pour vous, l’assurance réitérée de mon affectueux et respectueux dévouement.
(signé) L Delisle
Au-dessous, annotation de La Villemarqué, d’une écriture difficilement lisible:
Ville …la comtesse de Kergariou a les Heures a l’exemplaire …. par W. Stockes avec les vignettes de G. Tori
Courcy ne les a pas
La comtesse pourrait avoir l’original de 1575 …

Paris, le 4 janvier 1895
Très cher et honoré confrère
Je vous remercie bien de la gracieuse attention que vous avez eu de me communiquer la lettre de M. le chanoine Peyron, et plus encore de la démarche que vous avez pris la peine de faire pour me procurer, si c’est possible, l’examen pendant quelques heures du Catéchisme breton possédé par madame la comtesse de Kergariou.
Je commence à voir clair dans l’histoire des Heures bretonnes, et le renseignement fourni par M. le chanoine Peyron achève de me confirmer dans la pensée que les Heures sont à peu près de la même époque que le Catéchisme. Mon principal argument est tiré de l’exécution matérielle du livre, comme vous le verrez dans la notice dont j’aurai l’honneur de vous soumettre une épreuve.
Ma femme se joint à moi pour vous transmettre mes meilleurs vœux. Puisse votre santé se raffermir, et vous permettre de revenir bientôt à l’Académie, où votre présence cause un vrai plaisir à tous vos confrères ! – Ce sera sans doute vers la fin du mois de janvier qu’il sera procédé à l’élection du successeur de M. Duruy. Les candidats actuellement en ligne sont MM. le duc de La Trémoille, de Ruble et Dieulafoy.
Monsieur votre fils, qui lira probablement cette lettre, voudra bien agréer tous mes remerciements pour les lettres qu’il a pris la peine de m’écrire.
Avec tous mes vœux, recevez, très cher et honoré confrère, l’assurance réitérée de mon vieil et respectueux attachement.
(signé) L Delisle

NOTES
(1) L’exemplaire de ces Heures bretonnes de 1576 se trouve effectivement aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Frances, B 27815, mais la notice précise toujours [Heures à l’usage du diocèse de Saint-Pol de Léon], comme l’avait jadis suggéré Léopold Delisle, alors que l’on sait aujourd’hui qu’il s’agit de l’usage cornouaillais.
(2) Whitley Stokes, Horae Britonnicae et latinae : Middle-Breton Hours, Edited, with a translation and glossarial index, Calcutta, 1876

SOURCES
Quimper, Archives Départementales du Finistère : 263 J 2/1106 et 107

Grâce à Yann Celton, le Catéchisme de Gilles de Kerampuil (exemplaire ex comte de Kergariou / Le Goaziou) a été numérisé par la Bibliothèque diocésaine de Quimper [ en ligne ]. J’en ai donné une notice dans mon Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Livres d’heures, de piété, de dévotion et ouvrages associés antérieurs à 1790 (2014).
Vente dernière du Catéchisme de Kerampuil par la maison Dupont Associés [ catalogue en ligne ]


Signature du comte de Kergariou sur la page de titre du Catéchisme de Gilles de Kerampuil

Sur les collections de la riche bibliothèque du comte de Kergariou voir Jean-Luc Deuffic, « Le comte de Kergariou. A propos d’un Livre d’heures… et de saint Fiacre », dans Notes de Bibliologie. Livres d’heures et manuscrits du Moyen Âge identifiés (Pecia, Le livre et l’écrit, 7), Brepols, Turnhout, 2010, p. 171-175. [ Lien ]


Catéchisme breton de 1576. Lettre dédicatoire de Gilles de Kerampuil
© Bibliothèque abbatiale de Landévennec

Titre du Catéchisme de Gilles de Kerampuil
CATECHISM || HAC INSTRVCTION || EGVIT AN CATHOLICQVET || Meurbet Necesser en Amser presant, Eguit || quelen, ha discquifu an Iaouancdet : || Quētafu composet en Latin, Gant || M. P. Canisius Doctor en || Theology, ves à socie- || té an hanuà Iesus. || Goudé ez eux un abreget ves an pez a dléer principalafu || da lauaret en prosn an offeren dan tut lic. || Troet bremman quentafu à Latin en Brezo- || nec, Gant Gilles Kanpuil, personn en || Cledguēpochær, hac autrou à Bigodou. || Congrega ad me populum, vt audiant ser- || mones meos & discant timere me, om- || ni tempore quo viuunt in terra, || doceātq; filius suos. Deut. 4. || [marque de Kerver] || A PARIS, || Pour Iacques Keruer, demeurant rue sainct || Iacques à l’enseigne de la Licorne. || [ — ] || M. D. LXXVI.

20 Sep 2024
Jean-Luc Deuffic

Les Heures de Jean Troussier, sénéchal de Lamballe et procureur général de la « Bretagne Galou » (Paris, vers 1420-1430). Collection Heribert Tenschert

© HERIBERT TENSCHERT – Heures de Jean Troussier. Pietà ; commanditaire (fol. 3).

 

La présentation vidéo, en ligne, d’un des sublimes livres d’heures de la prestigieuse collection de notre ami Heribert Tenschert, en l’occurrence celui de Jean Troussier, m’a encouragé à revenir sur cet emblématique manuscrit, dont l’enluminure a été attribuée au Maître de la Légende dorée de Munich, et qui montre l’attachement de certains seigneurs bretons à faire appel aux meilleurs et aux plus talentueux enlumineurs de l’époque. Cette page reprend en fait, avec quelques légères modifications, la notice que j’ai consacrée à ce manuscrit dans mon corpus publié sous le titre Le livre d’heures enluminé en Bretagne. Car sans heures ne puys Dieu prier (Brepols, 2020).

Livre d’heures à l’usage de Paris, de Jean Troussier, procureur général de Bretagne gallo et sénéchal de Lamballe. Paris, vers 1420-1430. Collection Heribert Tenschert

168 f. 215 × 162 (110 × 72) mm. 15 lignes (texte), 17 lignes (calendrier), 18 lignes (textes ajoutés en début et fin d’ouvrage). Écriture gothique Textura. Reliure maroquin vert (XVIIIe siècle).

Composition. 1-2v. Armoiries peintes (1). Fol. 3. Salve Regina. Fol. 4-15v. Calendrier en français, de type parisien. Au 21 février, Luthernast, pour saint Leuthiern (2), dont les reliques reposaient à l’abbaye Saint-Magloire de Paris. Fol. 16. Péricopes évangéliques. Saint Jean. Fol. 17v. Saint Luc. Fol. 19. Saint Mathieu. Fol. 20v. Saint Marc. Fol. 21v. Prières à la Vierge. Obsecro te (formulation masculine). Fol. 25. O intemerata. Fol. 29. Heures de la Vierge, à l’usage de Paris. Matines. Trois nocturnes. Fol. 51. Heures de la Vierge. Laudes. Fol. 62. Prime. Fol. 68. Tierce. Fol. 72v. None. Fol. 80v. Vêpres. Fol. 87. Complies. Fol. 92. Psaumes pénitentiels. Fol. 103v. Litanies. Entre autres, saints Gervais et Protais, Denis, Germain ; saintes Geneviève et Opportune. Fol. 109v. Heures de la Croix. Fol. 113. Suffrages. Fol. 116. Office des morts, à l’usage de Paris. Fol. 159. Les Quinze Joies de Notre-Dame, en français :  xv Joyes : Doulce dame. Fol. 164. Les Sept Requêtes à Notre-Seigneur, en français : vii Requêtes : Doulz Dieu. Fol. 167-167v. Une prière a été ajoutée peu avant 1450, pour éviter les punitions de l’Enfer. Oracio ad evitandum eterna supplicia. Deus, qui non vis mortem peccatorum, nec letaris in perditione morientium… (formulation féminine).

Décoration. Attribuée au Maître de la Légende dorée de Munich. Pietà ; commanditaire (fol. 3). Saint Jean (fol. 14) (3). Saint Luc (fol. 15v). Saint Mathieu (fol. 17). Saint Marc (fol. 18v). Annonciation (fol. 27). Visitation (fol. 49). Nativité (fol. 60). Annonce aux bergers (fol. 66). Adoration des Mages (fol. 70v). Présentation au Temple (fol. 74v). Fuite en Égypte (fol. 78v). Couronnement de la Vierge (fol. 85). David en prière (fol. 90). Crucifixion (fol. 107v). Pentecôte (fol. 111). Funérailles (fol. 114). Vierge à l’enfant Jésus, au jardin (fol. 157). Jugement dernier (fol. 162). Enfer (ajoutée ? exécutée par le Maître de Dunois, fol. 165).

Concernant le Maître de la Légende dorée de Munich, les avis ont divergé sur l’existence réelle d’un atelier attaché à cet enlumineur parisien, certains le présentant plutôt comme un itinérant (Spencer). Aujourd’hui, au vu de sa production, la question semble réglée. François Avril a souligné le rôle déterminant du MLDM dans la formation du Maître de l’Échevinage de Rouen, ville où le MLDM aurait pu séjourner (4). On peut remarquer plusieurs connexions avec la Bretagne, notamment avec les Heures du duc Arthur III (ms. New York, The Morgan Library & Museum, M.241) ou celles de son épouse Marguerite de Bourgogne (ms. Windsor Castle, royal collection, RCIN 1142248, « Heures Sobieski) (5).

Le Maître de Dunois, actif à Paris entre 1435 et 1466, doit son nom à une de ses premières productions, le livre d’heures du comte Jean de Dunois, fils illégitime de Louis d’Orléans (ms. London, British Library, Yates Thompson, 3), et est aussi appelé « Principal associé du maître de Bedford » (Chief Associate of the Bedford Master) (6). Comme production commune de ces deux maîtres voir les Heures de la collection d’André Hachette.

Provenance. Manuscrit commandité par Jean Troussier (ou Trouxier), procureur général de Bretagne gallo et sénéchal de Lamballe dans les années 1420-1450 ; au fol. 3 : Jean Troussier, en armures, les mains jointes, agenouillé sur un coussin d’azur semé de fleurs d’or, devant son prie-Dieu sur lequel se trouvent ouvert son livre d’heures ; à terre, son bouclier peint à ses armes, et son casque dont le cimier représente une femme vêtue de gueules, tenant en ses mains un phylactère avec une probable devise (motto), dont on devine quelques mots : « … * pour * le * s… * ». Armoires : d’hermines au lion de gueules couronné d’or.

Commissaire pour la réformation de la noblesse bretonne de 1426, et pour plusieurs enquêtes de feux (1434, 1440 etc.), Jean Troussier figure aux précieux comptes de Jean Droniou (1424-1426), comme trésorier et receveur général de Bretagne, parmi les officiers du duc Jean v : « Jehan Troussier procureur général de Bretagne Galou » (la partie gallo de la Bretagne, celle dite de langue française ; l’autre étant le procureur de Basse-Bretaigne, bretonnante) ; « A Jean Troussier, sénéchal de Lamballe 20 £ » ; « A Jehan Troussier, que Monseigneur lui devait pour prêt 235 écus d’or » (7). De nombreux actes mentionnent les activités de Jean Troussier, comme sénéchal, entre 1412 et 1444 (8).
Le Catalogue de livres rares et curieux composant la bibliothèque de M. L. B. G., (Paris, 1864), fait état sous le n. 653 d’un « TERRIER DE LAMBALLE » : s’ensuivent les informations de plusieurs paroisses dudit terrouer faites par Jehan Troussier, sénéchal de Lamballe, etc (Gr. in fol., br. MANUSCRIT ancien, très curieux à consulter pour l’histoire de Lamballe et de Saint Brieux (sic).
Le nom de l’épouse de Jean Troussier ne nous est pas parvenu.


© HERIBERT TENSCHERT – Heures de Jean Troussier. Commanditaire (fol. 3, détail).

Les Troussier, seigneurs de la Gabetière (9) et de Pontmenard à Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan), portaient d’hermines au lion de gueules couronné d’or. L’enquête de réformation de la noblesse bretonne du 14 avril 1426 avant Pâques (1427 n. s.), signale parmi les trois nobles de cette paroisse un certain Guillaume Troussier ayant « métayer en son manoir à la Gabetière », personnage sur lequel nous ne savons rien par ailleurs (quel lien avec notre Jean, sénéchal de Lamballe?). Cette famille donna deux grands chantres de Saint-Malo, Olivier Troussier (pourvu en 1450, fondateur en 1470 de la chapellenie de Saint-Julien dans la cathédrale), décède en 1475 (10) ; Jean Troussier, son neveu, qui le remplaça, fut grand aumônier du duc de Bretagne François II, son ambassadeur en Angleterre en 1486 (11). Citons également Guillaume Troussier, noble écuyer, receveur de Lamballe en 1459-1460 (12) et Mathelin Troussier, alloué de Lamballe, mentionné en 1476 (13). Le 18 avril 1480, Florence Leet (14), femme de Guillaume Troussier, sr de la Gabetière, était en procès devant la cour de Lamballe contre Jean Poulain (15). Ce Guillaume Troussier est peut-être le fils de notre Jean Troussier, sénéchal de Lamballe.

Possesseurs (XVIIe siècle); aux fol. 1r-v, 2, armes et monogramme: « M » et « A », entrelacés. De Curcay (16)? ‒ Aubert de Rosainville (XVIIe siècle ?) ‒ Ex-libris de Helmut N. Friedlaender (1913-2008) ‒ Christie’s, vente du 28 novembre 1990, Medieval and illuminated manuscripts, valuable printed books, autograph letters and manuscripts, lot 9. ‒ Heribert Tenschert, catalogue n. 30 : Leuchtendes Mittelalter 5, Psalter und Stundenbuch in Frankreich vom 13. bis zum 16. Jahrhundert: mit Miniaturen von den Meistern der Historienbibel des Duc de Berry (1993, lot 15). ‒ Heribert Tenschert, catalogue n. 36 : Leuchtendes Mittelalter I-VI, 1989-1994: Fazit 1996 : die noch verfügbaren Manuskripte, lot 34.

Bibliographie.

Catherine Reynolds, « English Patrons and French Artists in Fifteenth-Century Normandy », dans D. Bates et A. Curry (éd.), England and Normandy in the Middle Ages, London, 1994, p. 299-314. Tenschert, 1994, n. 30 : Leuchtendes Mittelalter 5, Psalter und Stundenbuch in Frankreich vom 13. bis zum 16. Jahrhundert : mit Miniaturen von den Meistern der Historienbibel des Duc de Berry, lot 15. Catherine Reynolds, « Master of the Munich Golden Legend », dans The Dictionary of Art, London, 1996, XX, 735. Catherine Reynolds, « The Workshop of the Master of the Duke of Bedford », dans Godfried Croenen, Peter F. Ainsworth (éd.), Patrons, Authors and Workshops : Books and Book Production in Paris around 1400, Louvain : Peeters (« Synthema » 4), 2006, p. 454, note 43. Heribert Tenschert / Eberhard König, Das Pariser Stundenbuch an der Schwelle zum 15. Jahrhundert. Die Heures de Joffroy und weitere unbekannte Handschriften, Ramsen, Schweiz, Antiquariat Bibermühle, 2011 (Studien und Monographien num. 15), p. 279-306, 19 pl. : « Das Stundenbuch der Familie Gaptière aus der Bretagne : ein reifes Hauptwerk des Meisters der Münchner Legenda Aurea ». Laurent Ungeheuer, Le Maître de la Légende dorée de Munich. Un enlumineur parisien du milieu du XVe siècle, formation, production, influences et collaborations, Thèse de doctorat d’Histoire de l’Art, sous la direction de Michel Pastoureau, Paris : École doctorale de l’École Pratique des hautes Études, EPHE 472 (HTR), 2015. Accessible sur le web, n. 38, p. 401-408, 623-624 (précise que la famille normande Boissay/ Boissey porte également les armes d’hermines, au lion de gueules) (17). Jean-Luc Deuffic, « Miscellanées bretonnes : la page dans tous ses états : XV. Le commanditaire breton des « Heures de La Gaptière »« , dans Pecia, 16, 2013, Performance and the Page,  p. 221-228. Paris mon Amour, I, 2017, no. 11, pp. 291-311 [ en ligne ].

Je remercie Guy de Kersabiec, vicomte de la Gaptière, pour son aide précieuse.

© HERIBERT TENSCHERT – Armoiries.

Notes

[1] Fol. 1. Demi-lune d’argent sur fond azur, contenant deux cœurs d’or enflammés traversés par une flèche, écu entouré de feuilles d’acanthes ornées de conques, bleues, rouges, argent et or. Fol. 1v. Monogramme d’or, « M » et « A » (?) entrelacés, entourés par une branche de palmier à gauche, et de laurier à droite, liées par deux rubans, lilas en haut, et rose en bas. Fol. 2. Armes mi-parties, composées, de celles du fol. 1, auxquelles s’ajoutent, de haut en bas, deux mouches sur fond rouge, une rose rouge sur fond or, et une roue d’or sur fond azur. Ungeheuer, 2015, p. 401.

[2] Au 19 octobre dans le calendrier parisien utilisé par P. Perdizet, 1933.

[3] Ungeheuer, 2015, foliotation + 2.

[4] François Avril et Nicole Reynaud, Les manuscrits à peintures, Paris : Flammarion et Bibliothèque nationale de France, 1993, p. 170.

[5] Diane E. Booton, Manuscripts, Market and the Transition to Print in Late Medieval Brittany, Farnham : Ashgate, 2010, p. 148, 264, 316-317. Eleanor Patterson Spencer, The Sobieski Hours: a manuscript in the Royal Library at Windsor Castle, Academic Press, 1977. John Plummer, Gregory Clark, The Last Flowering : French Painting in Manuscripts, 1420-1530, New York: Pierpont Morgan Library, 1982, n. 8. Roger S. Wieck et al., Time sanctified. The book of hours in medieval art and life, New York: George Braziller, in association with the Walters Art Gallery, Baltimore, 1988, p. 11sq. Miriam Milman, Les Heures de la prière. Catalogue des Livres d’heures de l’abbaye d’Einsiedeln, Turnhout : Brepols, 2003, notamment p. 28-32.

[6] François Avril et Nicole Reynaud, Les manuscrits à peintures, Paris : Flammarion et Bibliothèque nationale de France, 1993, p. 36.

[7] Hervé Torchet, Comptes du duc de Bretagne 1420-1433 d’après les copies manuscrites, Les Éditions de la Pérenne, 2010, p. 94, 102, 104. Jean Kerhervé, Les gens de finances des ducs de Bretagne, catalogue prosopographique, III, p. 412 (Thèse dact.) ; L’État breton aux 14e et 15e s., 1987, t. ii, p. 736 et note 134.

[8] Voir René Blanchard, Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne (Archives de Bretagne, 4-8), Nantes, 1889-1895, 5 vol. : mandements 1142, 1546bis, 1580 : 1424, 4 février, Vannes, mandement d’enquérir des droits des chapelains d’Auray à Jehan Troussier et Jehan de Bennerven, noz procureurs generaulx de Bretaigne gallou et de Bretaigne bretonnant. Mandements 2569, 1660, 2571, 2595, 2605, 2614, 2621-2624, 2626-2627, 2413, 2495. 1444, 21 août, commission au sénéchal de Lamballe pour s’assurer de l’emploi d’une somme de mille livres léguée par le duc Jean V pour être convertie en acquêts dont les revenus devaient servir à payer la fondation d’une messe quotidienne dans le couvent des Augustins de Lamballe, à nôtre bien amé et féal conseillier Jehan Troussier notre sénéchal de Lamballe. Voir Annuaire des Côtes-du-Nord, vol. 10, 1860, p. 70-73.

[9] « Le château de la Gabetière consiste en une cour renfermée de quatre corps de logis assez grands et dans l’un desquels se trouve la chapelle, et aux quatre coins d’iceux trois grosses tours cylindriques et donjon où est l’horloge, et au devant d’icelui un premier portail et un second portail à pont levis et le dit château entouré de douves et fossés ». Nantes, ADLA, B 2000, n° 12, papier terrier de la barre de Ploermel.

[10] Voir H. Harvut, « Notice sur la cathédrale de Saint-Malo depuis sa fondation jusqu’à nos jours », dans la Semaine religieuse du diocèse de Rennes, n. 44, 26 aout 1882, p. 695-703. J.-Y. Copy, Les gisants haut bretons, 1986, p. 234-235 et n. 242. Annales de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo, 1996, p. 329.

[11] J. P. Leguay, Un réseau urbain au Moyen Âge : les villes du duché de Bretagne, Paris, 1981, p. 285-289 ; Rennes, ADIV, G 275.

[12] Peut-être celui cité par Dom Morice, Preuves, t. II, col. 1717, en 1458, d’après les Archives de la Chambre des comptes.

[13] « Mandement d’évocation pour Guillaume Troussier, sr de la Gabetiere contre Me Mathelin Troussier et sa femme touchant la possession des biens meubles et héritages de feu Me Olivier Troussier chantre et chanoine de Dol ». Paris, BnF, ms. Fr. 22318, fol. 47.

[14] Leët, sr de la Desnerie, paroisse de Saint-Donatien de Nantes, porte losangé (sceau 1421).

[15] Nantes, ADLA, B 9, fol. 49v. Cf. « (1488) Don à Gilles Troussier du rachapt de feus Guillaume Troussier et Florence Leet sa femme et de Me Mathelin Troussier, le 28 jour de mars ». Ms. Paris, BnF, Fr. 22318, fol. 138.

[16] D’azur au cœur d’or, soutenu d’un croissant d’argent en pointe (d’Aguesseau).

[17] Dans celles de Jean Troussier le lion est, plus exactement, « couronné d’or ».

Heribert Tenschert : 600 Years ago: The Hours of Jean Troussier, Breton Nobleman, with 20 large Miniatures by two of the foremost Painters of the Time, datable 1424-25 [ en ligne ]

 

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