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26 Août 2018
Jean-Luc Deuffic

Yorio OTAKA : « La fin de l’homme » d’Alain de « Chastau tournant » (8 novembre 1451)

L’année dernière, une note importante (quelque peu modifiée depuis …) fut consacrée sur ce blog à l’oeuvre méconnue d’un auteur que nous avions identifié avec un certain Alain de Château Trô, se disant lui-même \ »franczois\ » et \ »bretonnant\ », issu d’une ancienne famille noble possédant la seigneurie du même nom, aujourd’hui sur la commune de Guilliers (Morbihan), alors en zone tampon entre pays gallo et bretonnant.
Nous avons le plaisir d’annoncer les premiers résultats du travail de notre ami Yorio OTAKA, professeur émérite des universités d’Osaka et de Otemae, au Japon, lequel vient de publier dans la revue Otemae Journal (2018): \ »A propos du manuscrit OUL 2 dit M de l’Université Otemae: La fin de l’homme\ ». Dans cette étude préliminaire, M. OTAKA nous donne une édition critique de la préface (f. 1-3v), du prologue, des chap. I1, III2, III10 (la ballade concluante le tiers livre).
La tradition manuscrite de cette oeuvre reste bien \ »maigre\ », hélas … Le manuscrit d’Otemae (ms. OUL 2) provient de la prestigieuse bibliothèque du duc de La Vallière et figure sous le n° 235 au catalogue de la Bibliotheca Parisiana, importante vente aux enchères organisée le 26 mars 1791 à Londres (Edwards). Ce manuscrit était primitivement en Bretagne, entre les mains de Claude de Rieux (1497-1532), fils de Jean IV de Rieux, marié en 1518 avec Catherine de Laval, dame de La Roche-Bernard (1504-1526), puis avec Suzanne de Bourbon-Montpensier (morte en 1570). Ses armes, 1 et 4, de Rieux, 2 et 3, Rochefort, sur le tout Harcourt figurent en pleine page au f. 1.

« Ce present libvre est et appartient a hault et puissant seigneur monseigneur Claude de Rieux et de Rochefort, baron d’Ancenys comte de Harcourt, vicomte de Donges seigneur de Largouet et de Chasteauneuff ».

Claude de Rieux a apposé (ou fait apposer) la même note sur le ms. Paris, BnF, fr. 1659, un exemplaire de la « Libvre du bon Jehan duc de Bretaigne », de Guillaume de Saint-André, copié en 1441 à Vannes par Jean Olivero pour Yves Conan.
Le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (ms. Fr. 200), sur papier, illisible en plusieurs endroits, l’encre ayant altéré le support, a fait partie du \ »fonds breton\ » des collections du prestigieux château d’Anet, puis de celle d’Antoine Lancelot (1675-1740), et est accessible sur Gallica.


Paris, BnF, Fr. 200, f. 3.

 

Sur un des feuillets de garde, un essai de plume ? :\ »A mon tres honnore sr monsr de Ker\ » (logiquement au 15e siècle on aurait \ »Kaer\ »)
25 Fév 2017
Jean-Luc Deuffic

« Et priez pour le povre Allain … ». Un auteur breton méconnu : Alain de Château Trô (8 novembre 1451)

Il y a déjà bien longtemps, à la recherche d’informations pertinentes sur les écrivains bretons du Moyen Âge, j’avais été étonné par ce curieux nom de Chasteau Tournant (note A), donné à l’auteur d’un traité en vers sur la fin de l’homme, composé vers le milieu du XVe siècle…
Yorio Ōtaka, professeur émérite des universités d’Osaka et de Otemae, au Japon, à qui l’on doit déjà de très beaux livres sur d’anciens textes français (notamment l’Histoire ancienne jusqu’à César, chez Paragdime), prépare l’édition de cette œuvre inédite à partir du manuscrit OUL 2 du Centre de Recherches anglo-normandes (Otemae University Library), publication attendue car ce texte représente un témoin important de l’emploi de la langue française en Bretagne au Moyen Âge, près de cette Britannia gallicana, Haute-Bretagne d’aujourd’hui, porte d’entrée vers la Basse-Bretagne bretonnante.

Carte linguistique de la Bretagne (conception : Tanguy et F. Broudic), extraite de l’Atlas de l’Histoire de Bretagne, éd. Skol Vreizh, 2002. Ligne verte: la limite entre gallo et breton au XVIe siècle, d’après « L’histoire de Bretaigne » de Bertrand d’Argentré (1588).

Yorio Ōtaka m’ayant contacté, je me suis mis à la recherche de l’auteur de ce traité versifié qui se présente lui-même comme étant franczois et … bretonnant.
Le traité est, à ce jour, connu par 2 exemplaires ( Cf ARLIMA et JONAS / IRHT )
§ NISHINOMIYA, Otemae University Library, Centre de Recherches anglo-normandes, OUL 2 (XVIe s.). Manuscrit ayant appartenu au seigneur breton Claude de Rieux (note 1).

« Ce present libvre est et appartient a hault et puissant seigneur monseigneur Claude de Rieux et de Rochefort, baron d’Ancenys comte de Harcourt, vicomte de Donges seigneur de Largouet et de Chasteauneuff ».

Sur ce manuscrit voir : P. Durrieu, « Les manuscrits à peintures de Sir Thomas Phillips à Cheltenham », dans Bibliothèque de l’école des chartes, t. L, 1889, p. 401, n° LVII. Vente Edwards, cat. Paris d’Illins, 26 mars 1791, lot 235. Thomas Rodd, 1821, n° 3412 ; 1823, n° 69. Vente Sotheby’s du 30 novembre 1976, lot n° 888. Librairie Laurence Witten, catalogue 8 (1978), n° 38 ; 10 (1979), n° 27. Vente Sotheby’s du 18 juin 1991, lot 116, p. 174-175. Pierre Gasnault, « Charles-Henri de Clermont-Tonnerre et la bibliothèque du couvent des Minimes de Tonnerre », dans D. Nebbiai-Dalla Guarda & Jean-François Genest, Du copiste au collectionneur. Mélanges d’histoire des textes et des bibliothèques en l’honneur d’André Vernet (Biblilogia 18), Turnhout, Brepols, 1998, p. 585-614. Jean-Luc Deuffic, Notes de bibliologie. Livres d’heures et manuscrits du Moyen Âge identifiés (XIVe-XVIe siècle), Pecia, 7, 2009, p. 102-103.
§ PARIS, Bibliothèque nationale de France, fr. 1200 (8 novembre 1451). Numérisé sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059678h
Il provient des collections du château d’Anet (voir notre site), dont il porte l’ancienne cote « VIc lxiii », figurant au catalogue de 1724 sous le n° 79 (papier): « Traité de la fin de l’Homme en vers ».


Paris, BnF, fr. 1200. Marque particulière des collections du château d’Anet

Ce manuscrit fut par la suite racheté par Antoine Lancelot (1675-1740), membre de l’Académie royale des inscriptions et belles lettres : cote « 147 ». Donc, un parcours identique à celui du Catholicon breton de Lagadec et de bien d’autres manuscrits médiévaux venant de Bretagne ou ayant appartenu à des seigneurs bretons…

Le texte commence :

Memento finis
Ou nom du Pere et Creatour
Qui nous fourma et crea touz
Et de Ihesus son begnoist filz…

Et finit:

Aint de la saincte Trinité
En la cestielle cité

Au f° 280r°-v°, on peut lire ce colophon quelque peu énigmatique:

L’an de grace mill quatre centz
Cinquante et ung
du povre sens
De l’actour ce livre acomplis
Fut entre vespres et complies*
Pour vroy le di bien m’en remembre
Le ouyctiesme jour de novembre
Qui le sournom savoir voulra
Pour certain trouver le poura
Ou tiers livre ou segond chappitre
Escript tout au long sens tiltre
Cil qui le lira a dieu prie.
Qu’escript soit ou livre de vie
Amen. Deo gratias.

Effectivement, au second chapitre du 3e livre, f° 73v° :

Bien fuz nommé chasteau tournant
Ung franczois et ung bretonnant

Et pour le prénom, il faut se rendre au f° 279v°

Et priez pour le povre Allain
Qui de maint peché prins a lain


Paris, BnF, fr. 1200

Un auteur à identifier … français et bretonnant

À la recherche d’un « Chasteau Tournant », français et breton, mon enquête m’a orienté vers une zone à la limite de la Bretagne gallo et de la Bretagne bretonnante, au centre même de la Bretagne. Ce lieu très ancien fut le berceau des vicomtes de Porhoët, et donc de l’illustre et prestigieuse famille de Rohan. Son nom : Château Tro, aujourd’hui sur la commune de Guilliers (Morbihan). La première occurrence de ce toponyme figure en 1084 dans le Cartulaire de Redon mais probablement dans une fausse charte : Guethenoc y est dit vicecomes de Castello Thro. Le mot breton tro, trô, se traduit par « tournant, tour, circonférence .. (c’hoari an dro = faire le tour)… Voir les Dictionnaires bilingues de Francis Favereau / Edition Skol Vreizh sur le site Grand terrier.
On retrouve également cet élément « – tro – », dans le nom même de la région où se situe Guilliers : le Porhoët, attesté sous les formes pagus Trocoet vers 854, Poutrocoet en 859, pagus trans sylvam en 868 (pays entouré par la forêt ?).

Sur la motte féodale de Château-Tro, lire l’excellente étude de Lucie Jeanneret, « Le réseau castral du Porhoët et du Rohan : mise en place et morphologie des sites fortifiés du Xe au XIIIe siècle », publiée dans le Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 2014.

Le château devient la propriété de la famille Chasteautro ou Chasteau-Trou (en 1382, en 1480 et en 1550; armes: d’argent, à trois têtes de renard coupées de sable, armées et lampassées de gueules)
À la montre des nobles de l’évêché de Saint-Malo, de 1440, on trouve pour Guilliers : Alain DE CHASTEAUTRO, ayant des métayers à la Ville Cado et à l’Esclèche.
Le dictionnaire des feudataires des évêchés de Dol et Saint-Malo en 1480, comptabilise la présence de 12 nobles de Guilliers, dont plusieurs Chasteautro, entre autres : Alain DE CHASTEAUTRO, de Botelle (20 livres de revenu) : porteur d’une brigandine, comparaît en archer ;
En 1437, Alain de Chasteautro était procureur de Béatrice de Clisson (1363-1448), veuve d’Alain vicomte de Rohan (René Blanchard, Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne, volume 7, 1894, p. 161-162). Peut-être est-ce notre homme ? Alain fils d’Alain, épousa vers 1440 Fleurie le Corgne (Potier de Courcy, Nobiliaire et armorial de Bretagne, tome 1, Nantes & paris,1862, p. 185).

En définitive, il est quasiment assuré que l’auteur du traité sur la fin de l’homme appartient à cette famille de Châteautro, mais difficile d’identifier avec certitude de quel Alain il s’agit, ce prénom ayant été porté par plusieurs de ses membres. Signalons, pour terminer, qu’un Geoffroy de Châteautro, fils d’Yves de Châteautro et d’Yvonne de Kerguézangor, seigneur et dame du Cartier, fut reçu docteur es droits à l’Université de Ferrare (Italie) le 20 avril 1543, après avoir étudié à Toulouse et à Bologne (note 2).

Ung franczois et ung bretonnant…

Se disant « franczois » et « bretonnant », Alain de Chasteau tournant, qui écrivait en 1451, indique ainsi que l’utilisation du breton sur son territoire, à l’est de la limite proposée par d’Argentré au XVIe siècle (voir carte ci-dessus), reste effective à son époque. Son témoignage est donc important pour constater l’évolution et le recul de la langue bretonne (ou l’avancée du gallo). Dans ce contexte, on peut noter la présence, à Guilliers même de plusieurs toponymes bretons : Leucadeuc, Kerbigot, Treglion, etc.

* Entre 18 et 21 h. Le 8 novembre, en 1451, était un lundi.

Note A
Y aurait-il une allusion au château tournant, « motif fréquent dans la littérature arthurienne qui hérite sur ce point des anciennes conceptions celtiques » ?? Philippe Walter, Dictionnaire de mythologie arthurienne
Note 1
Passa aussi entre les mains de Claude de Rieux (+ 1532) un exemplaire « morbihannais » (Paris, BnF, fr. 1659) du « Libvre du bon Jehan duc de Bretaigne », de Guillaume de Saint-André, issu des collections de la chartreuse de Saint-Michel d’Auray, achevé le 11 mai 1441 à Vannes par Jean Olivero (pour Yvon Conan).
Note 2
E. Picot, compte rendu des Cenni storici intorno all’Università di Ferrara (par G. Martinelli, Ferrare, 1899-1900) et des Titoli dottorali conferiti dallo studio di Fe rara nei sec. XV e XVI (éd. par G. Pardi, Lucques, 1901),dans Le Journal des sçavans, 1902, p. 93.

Je remercie Fañch Broudic pour son aide bien précieuse
(Blog : http://languebretonne.canalblog.com – Site perso : www.langue-bretonne.com )
et Pierre-Yves Lambert pour sa documentation linguistique.

Une fête médiévale à Château Tro en 1931 :
carte_postale_1936.jpg

Note additionnelle :
Depuis l’écriture de cet article, le Professeur Yorio Ōtaka (19 août 1931-26 juillet 2019) est décédé sans avoir achevé son travail d’édition du texte d’Alain de Chasteau Tournant.
Je dois également signaler le précieux travail linguistique de Monsieur Pierre-Yves Badel, « Sur la langue de la Fin de l’homme d’Alain de Chasteau Tournant (1451) », De la diachronie à la synchronie et vice versa. Mélanges offerts à Annie Bertin, éd. Julie Glikman, Hava Bat Zeev Shyldkrot, Sabine Lehmann, Frédérique Sitri et Thomas Verjans, Chambéry: Presses universitaires Savoie Mont Blanc, 2021, p. 185-202.

6 Oct 2016
Jean-Luc Deuffic

Un lecteur bien particulier de Raoul le Breton : Gaspare Tagliacozzi (1545-1599)

L’éminent Raoul le Breton, originaire de Ploudiry (Finistère, Bretagne), sera bientôt de nouveau à l’honneur avec la publication par G. Wilson, de ses Quaestiones super Priora Analytica Aristotelis (http://upers.kuleuven.be/nl/book/9789462700864).
A vrai dire, l’homme n’est pas très connu sur ses propres terres, et cela reste bien dommage !
Quoiqu’il en soit, notre billet concerne un de ses manuscrits, aujourd’hui à la British Library: le Harley, 7357, probablement d’origine italienne, comme plusieurs témoins de la tradition manuscrite des oeuvres du docte recteur de Sorbonne (+ ca 1320).

Gasparis.jpg

Sur le premier feuillet on peut lire une note : Ad usum Gasparis Taliacotii, et amicorum. La notice en ligne porte fautivement \ »caliacotij\ », mais il s’agit bien de la signature du médecin italien bien connu Gaspare Tagliacozzi (1545-1599). On retrouve d’ailleurs la même inscription sur un ouvrage de Johann Roszfeld (Rosinus), conservé à Cologne, ci-dessous, et sur un autre de Jean Fernel (1497-1558) de la Bibliotheca Osleriana (n° 2574).

gasparis_cologne.jpg

Considéré comme l’un des premiers à avoir pratiqué la chirurgie faciale, Gaspare Tagliacozzi nous a laissé une oeuvre importante : De curtorum chirurgia per insitionem, imprimé à Venize en 1597. 

Biblio:
The Life and Times of Gaspare Tagliacozzi, Surgeon of Bologna, 1545-1599, with a Documented Study of the Scientific and Cultural Life of Bologna in the Sixteenth Century. Martha Teach Gnudi , Jerome Pierce Webster

6 Juin 2016
Jean-Luc Deuffic

Les manuscrits du château d’Anet

Nous avons le plaisir d’annoncer la mise en ligne d’un nouveau site dédié aux manuscrits du château d’Anet, la célèbre demeure de Diane de Poitiers [ lien ]

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Dispersés en 1724, on les retrouve aujourd’hui dans plusieurs bibliothèques importantes d’Europe et des USA. Une paraphe particulière permet de les reconnaître :


(c) Paris, BnF, Fr. 370

Il apparaît aujourd’hui qu’aucun de ces ouvrages n’a appartenu à Diane, « les manuscrits de la maîtresse royale avaient quitté, probablement avant même le passage aux Vendôme, le château d’Anet » (François Avril).
C’est aussi le lieu de dire que les pages publiées sur ce nouveau site doivent beaucoup aux renseignements de Monsieur François Avril, ancien conservateur général du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, qui connait depuis longtemps les manuscrits d’Anet et sur lesquels il a amassé une importante documentation.
Mon premier objectif est de présenter cette collection assez remarquable, dont il semble bien qu’un noyau important provienne de l’éclatement de plusieurs bibliothèques bretonnes, entre autres celles de Tanguy du Chastel et de Jean de Laval, seigneur de Châteaubriant.

Les manuscrits du château d’Anet

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