Jean du Chastel, évêque de Carcassonne († 1475) : à propos d’un psautier et de sa « familia » bretonne
La cathédrale Saint-Michel de Carcassonne sur les remparts de la ville en 1462 [Gallica]
Roseline CLAERR et moi-même, préparant un ouvrage sur les bibliothèques des DU CHASTEL et des COETIVY dans le contexte de la culture livresque bretonne à la fin du Moyen Âge, je me permets de publier cette trouvaille toute récente sur un membre de la familia de l’évêque de Carcassonne, Jean du Chastel.
Fils d’Olivier du Chastel (x 2 février 1408) et de Jeanne de Ploeuc, frère de Tanguy (IV) du Chastel, protonotaire apostolique, archevêque de Vienne (nommé en 1446), administrateur de l’évêché de Nîmes (21 novembre 1453), abbé de Saint-Léonard de Ferrières (ancien diocèse de Poitiers) (1454), évêque de Carcassonne (juillet 1456), Jean du Chastel décède le 15 septembre 1475 dans sa maison prévôtale de Toulouse, et est inhumé le 26 septembre suivant, en la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne.
Dans un article récent (1) nous avions relevé les déboires de Tanguy du Chastel et de son frère Jean au sujet des reliques de saint Pelade, et donné une liste des manuscrits possédés par l’évêque de Carcassonne, dispersés entre Glasgow, Copenhague, Paris, Holkham Hall et Coimbra au Portugal, liste au demeurant incomplète mais qui montre une certaine \ »atomisation\ » européenne de la bibliothèque du prélat :
Copenhague, Bibliothèque royale
¤ Thott 359. Tancrède de Bologne, Roffredo de Bénévent, etc. XIVe s.
¤ Gl. Kgl. S 197. Jean André, etc.. XIIIe s.
¤ Gl. Kgl. S 198. Jean André, Gencellinus de Cassaneis, etc. XIVe s.
Glasgow, Bibliothèque Universitaire
¤ General 1125. Terence. Petrarque. XVe s.
¤ General 1189. Terence. XVe s.
Holkham Hall
¤ coll. Leicester 215. Grégoire XI. Décrétales.
Paris, Bibliothèque nationale de France
¤ Fr.. 6261. Histoire de l’ancien et du nouveau Testament en provençal. XVe s.
¤ Lat. 8926. Innocent IV, Commentaire sur les Décrétales ; Guillaume de Mandagout, De electionibus. XIVe s.
Coimbra, Biblioteca Geral da Universidade
¤ Coimbra BU 721. Jean de Imola. Commentaire sur les Décretales.
¤ Coimbra BU 722 et 723. Dominique de Sancto Geminiano, Commentaire sur les Décrétales.
¤ Coimbra BU 724. François de Zabarellis. Lecture sur les Décrétales.
¤ Coimbra BU 725. Jean de Imola. Commentaire sur les Clémentines. XVe s.
Généralement, les manuscrits portent une inscription contemporaine se terminant par
« … a este de feu messire Jehan du Chastel euesque de Carcassonne. M. Bertaudi notaire ».
Ms. Coimbra 721. [Cliquer pour agrandir]
Poursuivant notre quête de manuscrits autour de l’évêque Jean du Chastel, un passage de la Chronique des évêques de Carcassonne (Chronicon episcoporum Carcassonis) de Gérard de Vic (1667) a retenu notre attention :
… uti legitur in libro Psalterii dato per Riochum Ledresnay canonicum proximae ecclesisae (Carcassensis) et vicarium generalem proximi episcopi …
extrait traduit deux siècles plus tard par Alphonse Mahul dans son Cartulaire de Carcassonne (1867) :
Le 26 le corps de Jean Du Chatel fut enseveli dans la cathédrale de Carcassonne proche le grand autel comme on lit dans le Psaultier donné par Roch Ledresnay chanoine de la cathédrale et vicaire général du susdit évêque …
Si ce psautier reste introuvable, le renseignement précieux donné par Gerard de Vic nous conduit vers une autre piste. Dans notre dernier post nous avions fait allusion à la famille DU DRESNAY, une des plus importantes de Bretagne, au sujet d’un manuscrit de la Médiathèque des Ursulines de Quimper (ms. 1). Présentement, le psautier de Carcassonne provient d’un membre de cette famille (de la branche possessionnée à Carhaix, sans doute (2). L’auteur de la Chronique a bien relevé son nom : RIOCHUM LEDRESNAY. Bien évidemment, dans cette région de France saint ROCH reste très populaire ; c’est pourquoi A. Mahul l’a choisi au détriment de RIOC, un ermite breton, disciple de saint Guénolé, le fondateur de Landévennec (Finistère), certainement inconnu dans cette région du sud de la France (3).
Ainsi ce psautier dont l’existence est encore attesté en 1667 par Gerard de Vic, a été composé après 1475 puisqu’il inscrivait le décès de l’évêque Jean du Chastel.
On remarquera que HECTOR est un prénom récurrent dans la lignée des seigneurs du Dresnay depuis le XIVe siècle au moins.
(1) J.-L. Deuffic, \ »L’évêque et le soldat. Jean et Tanguy (IV) du Chastel, à propos des reliques de saint Pelade … et de leurs manuscrits\ », dans Le pouvoir et la foi au Moyen Âge en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest (éd. Joëlle Quaghebeur, Sylvain Soleil). Mélanges in memoriam H. Guillotel, Rennes, PUR, 2010, p. 299-316. Sur les manuscrits de Tanguy du Chastel : Roseline Claerr, « Un couple de bibliophiles bretons du XVe siècle. Tanguy (IV) du Chastel et Jeanne Raguenel de Malestroit », dans Le Trémazan des Du Chastel. Du château fort à la ruine. Actes du colloque Brest, juin 2004, sous la direction scientifique d’Yves Coativy, Centre de Recherche Bretonne et Celtique (UBO/Brest) et Association Tremazan, Landunvez, 2006, p. 169-187.
(2) Dom Jehan du Dresnay était bailli de Cornouaille en 1476 ; Yves du Dresnay, chanoine de la cathédrale de Quimper de 1486 à 1497.
(3) La chapelle Saint-Rioc de Lanriec (Finistère) figurait au rôle des décimes en 1789 sous le nom de Saint-Roch …
Miniature frontispice du ms. Coimbra 722, ayant appartenu à Jean du Chastel
Armoiries de Tanguy du Chastel et de Jeanne Raguenel de Malestroit sur un manuscrit de L’Histoire ancienne jusqu’à César : Rennes Métropole 2331
À propos d’un possesseur ancien du ms. 1 de la Médiathèque des Ursulines de Quimper
© Quimper, Médiathèque des Ursulines, ms 1, f. 259 / BVMM (IRHT)
Le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, dans son tome XXII de l’année 1893, consacré aux collections de Nantes, Quimper et Brest, décrit le premier ouvrage de la bibliothèque de Quimper comme étant un manuscrit italien du XVe siècle. D’une très belle écriture, ce recueil de lettres de saint Jérôme a malheureusement perdu nombre de folios.
La seule inscription autographe a été relevée par le catalogue : « Ancien possesseur au XVIIe siècle : M. du Gretz du Dresnay ». Cette lecture est bien entendu fautive et doit être ainsi restituée : « Au seigneur du K/roetz du Dresnay ». Effectivement le « K/ » (= K barré breton) peut se confondre parfois avec un « G ».
© Quimper, Médiathèque des Ursulines, ms 1, f. 1 / BVMM (IRHT)
L’imposante famille du Dresnay, « d’illustre et antienne noblesse », reste bien documentée par l’arrêt de 1668, lequel pourrait nous aider à identifier le membre de cette famille, possesseur du manuscrit de la Médiathèque des Ursulines de Quimper. Au XVIIe siècle plusieurs noms se dégagent :
« François du Dresnay, escuyer, sieur du Kerouetz (1) … qui declare avoir depuis quelques annees (28 novembre 1664) espouzé dame Barbe de Coatlosquet, fille de deffunct messire Guillaume, cheff de nom et d’armes de Coatlosquet, … qu’il est issu d’aultre François du Dresnay, d’un premier mariage (5 septembre 1636) avecq dame Marye de Penmarch, fille de deffunct hault et puissant messire René, barron de Penmarch, et de haulte et puissante dame Janne de Sanzay ».
Ce dernier François était fils de Pierre du Dresnaye et Claude de Rosmar.
C’est probablement dans ces trois noms qu’il faut chercher le possesseur de notre manuscrit. Malheureusement nous n’avons pour lors rien trouvé pour cette époque sur la bibliothèque des Dresnay. Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour rencontrer l’ex-libris héraldique des Dresnay (d’argent à une croix anillée de sable, accompagnée de trois cocquilles de gueulles, deux en chef et une en pointe), entre autres celui de Louis-Marie-Ambroise, marquis du Dresnay, qui épousa, à Morlaix, le 10 septembre 1766, Marie-Josèphe-Anne de Coetlosquet, et de son frère puiné, vicomte du Dresnay. Ils étaient les enfants de Michel-Joseph-René, dit le comte du Dresnay, et d’Elisabeth-Françoise de Cornulier.
Le citoyen Cambry, dans son catalogue des objets échappés au vandalisme dans le Finistère, de l’an III, nous fait savoir
qu’ « une des collections les mieux choisies de Morlaix, est celle du ci-devant vicomte du Dresnay » (p. 180), mais précise « J’ai pris note de plus de cent des ouvrages intéressants qu’elle contient ; les cabinets qui les renferment sont exposés à la pluie ; il serait instant de les transporter dans un local plus sûr … La nombreuse bibliothèque du Vte. Dudresnay est bien choisie, sans être celle d’un savant ou d’un homme de lettres … La reliure, le choix des exemplaires et des éditions est à remarquer dans cette jolie bibliothèque, enrichie d’ailleurs des oeuvres de nos meilleurs poëtes, de l’encyclopédie, de romans et de bons dictionnaires. »
Plus loin, il ajoute être « informé par la voie publique qu’une infinité de livres et d’ouvrages précieux ont disparu des diverses bibliothèques, surtout de celle du ci-devant vicomte Du Dresnay (p.190).
Jacques Cambry, Catalogue des objets échappés au vandalisme dans le Finistère : dressé en l’an III (Nouv. éd.) / ; publ. par ordre de l’administration du département. Édité par Julien Trévédy, H. Caillière, Rennes, 1889 (numérisation Gallica).
Docteur G. Vialet, Bibliothèques des bibliophiles bretons anciens, paris, Saffroy, 1931.
Médiathèque des Ursulines de Quimper
BVMM (IRHT)
Dresnay (du) – Réformation de la noblesse (1668) Source : La noblesse de Bretagne devant la Chambre de la Réformation 1668-1671 – Comte de Rosmorduc, 1896, tome III, p. 270-279. Seigneurs de Kerouetz, de Penanru, de Keremarch, etc… http://www.tudchentil.org/spip.php?article776
© Quimper, Médiathèque des Ursulines, ms 1, f. 1 / BVMM (IRHT)
(1) On écrit également Kerroué
© Inventaire général, ADAGP
Signature d’Isabeau d’Ecosse
Isabelle Stuart ou Isabeau d’Écosse (1425 /1427 – 1494 à Vannes), fille de Jacques Ier d’Écosse et de Jeanne Beaufort, fut duchesse consort de Bretagne entre 1442 et 1450 par son mariage avec François Ier de Bretagne.
Source : Paris, BnF, Lat. 1369, f. 56. Heures d’Isabelle Stuart, duchesse de Bretagne.
Numérisé sur Gallica
Source : Isabelle Stuart présentée par saint François dans ses Heures : Paris, BnF, Nal 588.
Numérisé sur Gallica
Guillaume de Lescouet, notaire et libraire breton à Paris au XIVe siècle
Signature de Guillaume de Lescouet
Préparant un petit catalogue prosopographique des libraires bretons au Moyen Âge, ces quelques lignes pour présenter un de ceux qui ont exercé à Paris.
En fait, sur le nom même j’ai quelque peu hésité. LESCONET ou LESCOUET ? Mon choix s’est toutefois porté sur le second dans la mesure où Guillaume de Lescouet se dit clerc du diocèse de Léon (clericus Leonensis diocesis, publicus apostolica et imperiali auctoritate notarius), région où ce patronyme est attesté anciennement. Ainsi un Guillaume de Lescouet figure comme gouverneur de Lesneven en 1357.
Le premier acte retrouvé portant le paraphe de Guillaume de Lescouet, comme notaire public (= tabellion), est la prestation de serment de son compatriote Henri GUILLOU comme libraire-juré de l’Université de Paris en septembre 1351. Du reste, ce même Guillou est connu aussi comme copiste d’un manuscrit de la Bibliothèque Cathédrale de Valence (ms. 10), exécuté pour le pape Clément VI : Nicolas de Gorran, Postilles. « Expliciunt postille fratris ni // cholai de Gorran super psalte // rium. // Hic liber est scriptus per henricum Guilloti pro Sanctissimo patre // ac domino domino clemente papa sexto // cuius anima requiescat in pace // Amen. Anno domini millesimo trecentesimo // quinquagesimo secundo die iovis // ante ramos Palmarum ».
En 1355 le nom de Guillaume de Lescouet se retrouve, comme libraire cette fois, mêlé à une transaction avec Gui Bodier, recteur de la paroisse de Saint-Malo de Pontoise, au sujet d’un exemplaire de la Légende dorée de Jacques de Voragine, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Carnégie de Reims (ms. 1386) : \ »Dominus Guido Boderii rector parrochialis ecclesie Sancti Macuti de Pontisara, Rothomagensis diocesis, uendidit magistro Guillelmo de Lescouet, notario publico, librario, etc. istam legendam, pro precio VIII scutorum, … anno LVto, die iouis post festum Prurificationis\ ».
Le 23 janvier 1359, Jean de Joy, chapelain de Sainte-Agnes fait une donation, cet acte sera établi dans la maison même de Guillaume de Lescouet, rue Neuve Notre Dame, proche de la cathédrale, là où sont installés généralement libraires et copistes de Paris : \ »acta fuerunt hec in domo habitacionis mei Guillelmi de Lescouet notarii publici infrascripti sita in vico novo beate marie paris.\ »
Un document de mars 1363, où Guillaume de Lescouet est qualifié de \ »tabellion du pape\ », nous fait connaître le nom de sa femme : Peronelle Boucher. Ensemble, ils achètent plusieurs rentes sur des maisons dont une appartient aux héritiers de Guillaume Jacques (autre notaire breton) et à Jean Le Boucher (père de Peronelle).
Enfin, dans les lettres patentes de Charles V portant exemption du guet et de la garde des porte de Paris, datées du 5 novembre 1368, figure le nom de Guillaume de Lescouet parmi les 14 libraires listés qui échappaient à cette corvée.
Voici donc quelques éléments biographiques de notre notaire-libraire breton maitre Guillaume de Lescouet qui décéda après 1386, date à laquelle il est encore mentionné dans le Registre des causes civiles de l’officialité épiscopale de Paris.
SOURCES : Paris, Archives nationales, L 715, n° 5 ; M 68, n° 39, 45, 54, 55 ; S 92 ; S* 1647
Guillaume Lesconnet (Lescouvet, de Lescouet) cité dans:
Paul Delalain, Étude sur le libraire Parisien du XIIIe au XVe siècle, Paris, 1891, p. 44.
Richard H. Rouse et Mary A. Rouse, Manuscripts and their Makers. Commercial Book Producers in Medieval Paris, 1200- 1500, Londres, Harvey Miller, 2000, vol. II, p.