Les recueils hagiographiques : journée d’étude de l’IRHT (Jeudi 3 décembre 2009)
L’importance de la littérature hagiographique pour notre connaissance de l’histoire des sociétés médiévales d’Orient et d’Occident n’est plus à démontrer ; en témoigne en particulier l’intérêt suscité par l’abondante production manuscrite dans ce domaine, aussi bien en latin ou dans les langues romanes que du côté byzantin et des christianismes orientaux, mais aussi dans le monde musulman, aussi bien en arabe et en persan qu’en turc. Or, un texte hagiographique est rarement isolé dans les manuscrits : il fait partie intégrante d’un groupe de textes, d’un corpus ou d’une collection, au travers desquels il est habituellement transmis et au sein desquels il interagit avec d’autres écrits. Dans le cadre de ces journées d’étude, on s’intéressera donc à la constitution des recueils hagiographiques, à leur production et à leur usage. Pour reprendre le vocabulaire du monde latin, on évoquera les grandes collections de vies de saints, classées selon un ordre liturgique ou méthodique, mais aussi les recueils structurés consacrés à un genre, à un type de sainteté particulière (par exemple, les apôtres, les femmes ou les ascètes), à un ordre, à un établissement ou à un saint particulier.
Panorama des recueils hagiographiques dans les différentes aires culturelles et linguistiques
Programme de la journée du 3 décembre 2009 consacrée au recueils hagiographique
10h30 Guy PHILIPPART (Université Notre-Dame de la Paix, Namur)
Les légendiers latins et la transmission des textes hagiographiques
11h30 Bernard FLUSIN (Université Paris IV-Sorbonne)
Les collections byzantines de textes hagiographiques d’après la typologie d’Albert Ehrhard
14h Martine THIRY-STASSIN (Université de Liège)
Regards croisés sur les légendiers français du Moyen Âge
15h Ioanna RAPTI (Centre d’histoire et civilisation de Byzance, Paris)
L’illustration des recueils hagiographiques arméniens
16h André BINGGELI (IRHT)
Les collections de vies de saints syriaques et arabes : du bon usage dans le désordre
L’entrée est libre sans inscription préalable
Salle Jeanne Vielliard
Institut de Recherche et d’Histoire des Textes
40, avenue d’Iéna – 75116 Paris
Contacts :
andre.binggeli*irht.cnrs.fr, cecile.lanery*irht.cnrs.fr, af.leurquin*irht.cnrs.fr
[Site IRHT]
Un ami nous a quitté : François Kerlouégan ( 11 août 1933 – † 22 novembre 2009)
Ce dimanche matin 22 novembre 2009 nous a quitté François Kerlouégan, spécialiste de la langue latine et de l’hagiographie bretonne, auteur d’une thèse mémorable sur le De Excidio Britanniae de Gildas (1987). Né à Thury dans l’Yonne, il enseigna à l’Université de Dijon jusqu’à 1968, puis à l’Université de Franche-Comté (Besançon). Pendant de nombreuses années il présida aux destinées du CIRDOMOC.
Pour ma part, j’ai pris contact avec lui dès 1981, à l’époque où il cherchait encore un éditeur pour sa thèse, car les Publications de la Sorbonne, exigeant une subvention, lui avaient refusé sa publication. François m’apporta de précieux conseils pour les projets que j’avais alors en cours. Une réunion eut lieu à Landévennec le vendredi 3 septembre 1981 pour la préparation du futur Colloque international, où il souhaitait \ »faire un tour de table sur l’état actuel des études sur les textes latins de Betagne\ ». Il passa la nuit chez nous, et de ce jour je garde de lui l’image d’un homme sincère et attentif.
François Kerlouégan participa, bien entendu, au colloque du 15e centenaire de l’abbaye Saint-Guénolé de Landévennec, en avril 1985 [Lien], qui fut un moment important pour la recherche bretonne.
Je m’associe à tous ses amis pour dire adieu au prof breton de Bourgogne …
Le manuel d’écriture d’un maître nantais vers le milieu du XVe siècle
Parmi les rares exemplaires connus à ce jour, le manuel d’écriture de Robert Det[?] maître « escrivain » du diocèse de Nantes (ca 1465),
porte la réclame « que en ceste cité est present demourant ung clerc escrivant telle manière de lettre, avecques pluseurs autres manières, comme lettre bastarde, lettre curialle ou lettre de minute, lequel introduira et enseignera à tailler leurs plusmes, o toute bonne deligence de l’art d’escripture … ».
Biblio : Le livre, catalogue exposition Bibliothèque nationale, 1972, n° 159.
Paris, BnF Lat. 8685. (c) Cliché Bibliothèque nationale de France.
Catalogue exposition \ »La Bretagne au temps des ducs\ », 1991, n° 148.
23 janvier 1471 : Interrogatoire de l’enlumineur Jehan Gillemer
Record of Jehan Gillemer, accused of espionage in 1472, a provincial illuminator in France in the late Middle Ages :
L’interrogatoire de Jehan Gillemer par le prévôt Tristan l’Ermite, soupçonné d’être un espion à la solde du duc de Guyenne, fournit de très intéressantes informations sur la vie d’un enlumineur itinérant au Moyen Âge :
Du XXIIIe jour de janvier IIIIc LXXI. Par nous Tristan l’Ermite, chevalier, prevost, etc., appellé avec nous Pierre Cutor, nostre lieutenant, et Nicolas Guiert, nostre greffier, a esté parlé à Jehan Gillemer, soy disant enlumineur, natif du pays du Mayne, et à présent démourant à Poictiers, prisonnier détenu es prisons du Roy, nostre sire, en ceste ville de Tours, pour ce qu’il est accusé d’avoir porté nouvelles et autres choses dont plus à plain est faicte mencion en certain procès-verbal, confessions de luy escriptes et signées de sa main, fait à rencontre de lui en la ville du Mans par maistre Guillaume Suffleau*, conseiller du Roy et lieutenant sur le fait de la justice du dit seigneur ou dit païs du Maine ; lequel, après ce que l’avons fait jurer de dire vérité, nous a dit et confessé que ce qui est escript ou dit procès-verbal fait par le dit Suffleau et signé de son greffier, nommé Le Jarrier, qui par nous lui a esté leu au long, est vray ainsi qu’il est escript. Pareillement ses confessions, attachées au dit procès, par lui escriptes et signées, sont vrayes, et les a escriptes et signées de sa main ainsi qu’elles sont.
Interrogué qui lui a baillé certain brevet contenant mémoire signé en teste L., ouquel est escript ce qui sensuit : Mémoire de passer à Saint Martin de la Cosdre, près Saint-Jehan d’Angely (A) en tirant vers Pauléon (B) et de parler à madamoiselle du dit lieu de Saint-Martin**, qui veult faire faire unes heures, et est ma dite damoiselle femme de Loys Baudet, maistre d’ostel de monseigneur de Guyenne. Et au dessoubz en deux lignes sont escripstes noms qui s’ensuivent : Simon Luillier, à Saint-Jehan ; Johannes Demeré ; Pontville, vicomte de Brollas ; messire Jehan Breton. Dit, en tant que touche la femme du dit Loys Baudet, que, trois moyset demi a ou environ, qu’il estoit au lieu de Latillé, distant de cinq lieues de Poictiers, logé chez François Lévesque, il arriva ou dit logeis ung nommé maistre Phillebert (ne scet son seurnon), qui se disoit serviteur de ladite damoiselle : et, pour ce que il qui parle lui dist qu’il esteit enlumineur et avoit de belles heures à vendre, le dit maistre Phillebert lui dist qu’il allast à Saint-Martin de la Cosdre, près Saint-Jehan d’Angely, ouquel lieu se trovoit la dite damoiselle, laquelle voulloit avoir unes heures ; et dist le dit Phillebert à il qui parle qu’il savoit bien qu’elle les achèteroit ou lui en ferait faire unes autres, et qu’elle en voulloit avoir unes du pris de XXV escuz ; mais dit qu’il n’alla point devers la dite damoiselle, et s’en retourna à Bordeaulx et à Saint-Sever, pour parler à madame la princesse, qui l’avoit envoyé quérir au dit lieu de Latillé par ung Johannes Demeré, cy dessus nommé, pour ce que la dite dame avoit à besogner d’unes heures et autres choses de son mestier d’enlumineur.
Interrogué que signiffient ces noms escrips dessoubz le dit brevet et qu’il y entend, dit que ce sont les noms des personnes à qui il avoit à besogner à Saint-Jehan d’Angely, et lesquels le dit Johannes lui avait nommez, afin de soy y adresser et savoir où ledit Johannes estoit logé au dit lieu de Saint-Jehan ; assavoir est qu’il se rendist chez le dit Simon Luillier, où souvent logeoit ledit Johannes, savoir s’il y estoit ; et à Pontville, estant à Saint-Sever avec monsieur de Guyenne, son maistre, ledit qui parle devoit parler, pour ce que ledit Johannes lui avoit dit qu’il lui avoit escript ung petit psaultier et qu’il falloit que il qui dépose lui enluminast. Au dit messire Jehan Lebreton, le dit qui parle voulloit parler a lui par ce qu’il est escripvain, et lui dist le dit Johannes qu’il parlast à lui en passant, et que par adventure lui bailleroit il à besogner ou lui ensengneroit où il pourroit gaingner de son mestier d’enlumineur. Et autre intencion n’a eue ou dit brevet fors en la manière qu’il a depposé cy dessus. Interrogué à qui est le dit Johannes et qui il est, dit qu’il est escripvain du dit seigneur de Guyenne, et lui escript ung bréviaire en lettre rommaine ; le scet parce qu’il lui a veu besongner au dit lieu de Saint-Jehan d’Angely.
Interrogué sur ce qu’il nous a depuis dit que, quant il se partit de Saint-Sever, où estoit mondit seigneur de Guienne et madite dame la princesse, il s’en revint de-là à Bourdeaulx, et depuis retourna audit lieu de Saint-Sever, savoir qu’il y alloit faire ne s’il y porta ou rapporta aucunes lettres ou nouvelles : dit que non, mais se partit du dit lieu de Saint-Sever pour venir à Bourdeaulx faire relier unes heures qu’il avoit vendues au petit Anthoine, varlet de chambre de mon dit seigneur de Guienne, lesquelles il reporta au dit petit Anthoine, après ce qu’ilz furent reliées, au dit lieu de Saint-Sever ; duquel lieu il se partit pour ce que mondit seigneur de Guienne, estant là, s’en alloit à Hagemaulx ; et s’en vint le dit qui parle du dit Saint-Sever à Bourdeaulx pour s’en venir par deçà, et dit, sur ce interrogué, que s’est le chemin du dit Saint-Sever par Bourdeaulx à venir par deçà.
Interrogué, quant il fut venu par deçà, qu’il alloit faire en la ville du Mans et en l’ostel de monsr du Maine, ni s’il lui avoit apporté aucunes lettres ou nouvelles de par le dit seigneur de Guienne ou de aultres de par de là : dit que non, mais y alloit pour le veoir et lui demander ung peu d’argent qu’il lui doit de reste d’aucuns livres qu’il lui a enluminez autrefois cuidant en estre payé ou que, à l’occasion de sa dite debte et son service et qu’il est né de ladite ville, icellui seigneur, quant il aurait parlé à lui, lui fist ou feist fère aucun bien ou eust entretenement en sa maison pour soy vivre le temps avenir.
Interrogué qui lui a baillez certain grant nombre de brevets esquelz es aucuns sont escriptes plusieurs oracions de saints et saintes, et es autres pour garisons de dens et de fièvres : dit qu’ilz et chascun d’eulx il a prins es lieux et passaiges où il est passé et où il les trouvoit, c’est assavoir les oracions es églises et autres lieux saints, et les brevetz de médecins et garisons les a euz de plusieurs personnes ainsi qu’il alloit par le pays ; et lesquelles choses il a escriptes et mises en mémoire pour soy en aidier à guérir et tous autres qui l’en requerraient. Interrogué où il a prins ung brevet pour fere entreaymer les hommes et les femmes : dit que ung Navarrois demourant à Bourdeaulx lui bailla audit lieu de Bourdeaulx, et lui dist qu’il le feist mectre en escripte en parchemin vierge, et que par vertu d’icellui brevet il entreroit [en] grâce de femmes et hommes, et lui en pourrait venir ou temps avenir grant bien. Et est ce qu’il deppose pour le présent.
Et le lendemain, au matin, fut par nous ledit Jehan Gillemer mis en question extraordinaire, où il a esté geheyné lié et estandu, et par nous interrogué sur ses confessions et autres pointz et articles dont avons esté advertiz ; mais n’a voullu depposer fors que en la manière que cy dessus et en ses autres confessions a depposé ; et nous a dit oultre, sur ce interrogué, qu’il estoit allé devers monsr du Maine de gayeté de cuer et de sa voulenté, sans avoir charge de nully de lui porter aucunes lettres ou nouvelles, mais pour lui dire qu’il venoit de Guienne et avoit veu monsr de Guienne, son nepveu, qui estoit malade de fièvres, et l’avoit veu monter à cheval au lieu de Saint-Sever pour d’illec alier à Hagemaulx. Plus lui voulloit dire qu’il devoit enluminer unes heures pour madame la princesse, sa niepce, dont il avoit marchandé avi a elle. Oultre plus dit qu’il lui voulloit dire que monsr de Guienne faisait faire ung bréviaire à l’usaige de Romme, et lui dire qu’il croyait que, s’il le demandoît à mon dit seigneur de Guienne, qu’il lui donnerait ; et dit que toutes ces choses et chascune d’icelles il voulloit dire au dit monsr du Maine pour avoir entrée avec lui en sa maison, aussi pour estre payé de ce qu’il lui devoit à cause de ses services de quoy il l’avoit servi le temps passé de son mestier d’enlumineur, que aussi qu’il lui pleust luy donner aucune chose pour lentretenement de sa vie le temps advenir. Et au regard du brevet où il est contenu qu’il devoit passer par Saint-Jehan d’Angely pour parler à la femme du maistre d’ostel de monsr de Guienne et autres inscrips ou dit brevet, n’en a voullu depposer fors et en la manière que cy devant a depposé. Et a prins sur son ame que audit seigneur du Maine, à la femme du dit maistre d’ostel, ne à autres qui soient vivans, il n’avait charge de porter lettres ne dire aucune chose de bouche de par quelconques personnes qui soient vivans, mais est allé partout et fait de sa voullenté ce que dessus est escript Et quant aux autres brevetz, dont l’avons interrogué de rechief, dit qu’il les a euz de plusieurs personnes et en plusieurs lieux où il est passé, et les a ainsi enregistrez pour s’en cuidier aidier, mais dit sur son âme que jamais ne s’en aida. Et autre chose n’a voullu depposer fors que en la manière qu’il a devant depposé. Et est ce qu’il deppose.
Et, après qu’il a esté hors de ladite geheine, lui avons fait lire ses dites deppositions au long, esquelles il a persévéré, et lui avons ceste présente fait signer, ainsi que les autres, comme cy appert.
Guiilemer (seing autographe, avec paraphe.)
Le premier jour de février, l’an mil quatre cens soixante et onze, par nous Tristan l’Ermite, chevalier, prevost, etc., fut de rechief interrogué Jehan Gillemer, enlumineur, sur le contenu en certains articles à nous baillez, atachez à ce présent interrogatoire ; sur lesquelx articles et sur chascun d’iceulx il a tjsté interrogué en la manière que cy après s’ensuit.
Et premièrement, interrogué que signifient, pour quoy ne à quelle cause il portoit avec lui plusieurs petis brevetz escrips les ungs en latin et les autres en françois, et sont les ungs pour guérir de fièvres et les autres pour mal de dens, et où il les a prins : dit qu’il les a euz de pluseurs personnes dont il ne scet les noms et en pluseurs pais et lieux où il s’est trouvé, et n’a mémoire à présent où il les a prins, fors qu’il a mémoire que, trois ans a ou environ, lui estant à Crotelles, près Poictiers, ainsi qu’il passoit, se trouva à boire en une taverne où illec trouva ung homme incongneu, et, pour ce que le dit m qui parle avoit mal aux dens et s’en plaingnoit, le dit homme incongneu lui dist que, s’il voulloit, il le guérirait bien, et de fait lui bailla ung brevet en parchemin, et lui dist qu’il le portast sur soy et qu’il l’en guériroit, et le lui pendit le dit incongneu au col atout ung fillet, et incontinent qu’il lui eut pendu fut guery ; et dit que, pour avoir ledit brevet, il lui donna II sols VI deniers tournois.
Interrogué se depuis il a point eu de mal aux dens: dit que oy, et a mis le dit brevet à son col ainsi que l’autre lui avoit mis, mais pourtant n’en est aucunement guery. Et dit, sur ce interrogué, que jamais ne l’essaia ne s’en voullut aidier depuis, fors comme dessus, parce qu’il vit qu’il ne lui servoit de riens. Et est ce qu’il deppose sur le premier article.
Interrogué sur le deuxiesme article, que signiffient ne à quoy sont bons certains pseaulmes et oraisons, et une oraison qui est en la fin d’iceulx, où il y a pluseurs croix entrelacées et escriptes : dit que, trois ans a ou environ, lui estant en la ville de Paris, ung nommé Guillonet (autrement ne scet son nom ne congnoist) lui bailla les dites oraisons, et lui dist qu’elles estoient bonnes pour porter sur soy, et quiconques les dirait tous les jours devant le Cruxifix, il ne lui prendrait point de mal ; mais, sur ce interrogué, dit qu’il ne scet que signiment les dites croix ne à quoy servent les dites oraisons, fors pour prier Dieu et le servir en bonne intention.
Interrogué que signiffent ne de quoy servent plusieurs jours des moys de l’an inscriptz au dessoubz et au bout des dites oraisons : dit que ce sont les jours desvoyez des douze moys de l’an, que lui mesmes a extraietz à Poictiers en l’église de Saint-Hilaire du dit lieu, et les print en ung livre estant à la librairie, escript en latin, et les lui translata en françois ung nommé Jehan Adveu, à présent decedé. Interrogué sur le troisiesme article, que signiffie ne à quoy est bon ung feullet de pappier où dedans est escript le nom de plusieurs villes de Guienne : dit que, pour ce qu’il a esté par plusieurs foiz ou dit pays de Guienne, ainsi qu’il alloit et venoit par ledit pays, il escripvoit les noms des lieux et villes où il avoit à besongner et à passer, afin qu’il ne peust faillir à aller droit son chemin ; et dit sur son ame que ledit brevet ne signiffie autre chose ne n’a esté escript pour autre cause, et il y a deux ans passez qu’il est escript.
Interrogué sur le quatriesme, que signiffie une paincture estant en ung autre feullet de pappier, qui est la mesure de la longueur de Jhesu Crist, aussi plusieurs croix et escriptures escriptes partie en latin et partie en françois, et de quoy il s’en servoit : dit que, quatre ou cinq ans a ou environ, lui estant en la ville de Brucelles, ung poursuivant qui, à son advis, estoit à l’empereur d’Almaigne, lui bailla le dit feullet de pappier, et lui dist que dedans estoit pourtraict la mesure de Jhesu Crist. à prendre à seize foiz de longueur la dite pourtraicture. Et lui dist le dit poursuivant, qu’il ne croignoist ne ne scet le nom, que ce il avoit prins et apporté de Jherusalem d’une ordre de Cordelliers. Et lui dist plus le dit poursuivant que quiconques le porterait sur lui, jamais ne lui viendrait mal ; et à ceste [fin] le print le dit qui parle le temps advenir, mais que signiffient les croix ne pareillement l’esciipture en françois et en latin il ne scet, fors ainsi que dessus a depposé.
Interrogué sur le cinquiesme article, que signiffient certains rondeaulx et escripture estans pourtraictz en ung autre feullet de pappier où il y a plusieurs croix, chiffres et escriptures : dit que, deux moys et demi a ou environ, lui estant au lieu de Bourdeaulx, ung homme du paîs de Navarre, qu’il ne congnoist ne jamais n’avoit veu jusques à celle heure, lui bailla ledit feullet de pappier. et lui dit qu’il le feist escripre et pourtraire pareil en parchemin vierge et qu’il le portast tousjours sur lui, et que, s’il le faisoit il serait amé de toutes personnes, feussent grans ou petiz, par où il passerait, et ne lui declaira autre chose. Et dit sur son ame qu’il ne scet que signiffient les dites croix, chiffres ne escriptures, et n’en scet autrement que ainsi qu’il a cy dessus depposé.
Interrogué sur le sixiesme article, que signiffient plusieurs chiffres et caractaires estans en ung petit brevet de parchemin escrips pour aprendre à avoir l’amour d’une jeune femme : dit que ledit Navarrois les lui bailla au dit lieu de Bourdeaulx quant il lui bailla les rondeaulx dessus dits, et ne lui dist fors seullement qu’il feist le contenu de ce qui estoit escript ou dit brevet, et oultre qu’il le feist mectre en parchemin vierge ; mais dit sur la dampnacion de son ame que jamais ne s’en aida ne voullut aidier, ne bailla à autre pour soy en aidier ; et ne scet qui ferait le contenu ou dit brevet, s’il s’accomplirait et s’il sera vray, parce que jamais ne l’essaya, comme dit est, ne quelle puissance ne vertu il peut avoir.
Interrogué sur le septiesme article, que signiffient ne à quoy est bon ung petit brevet de parchemin, rompu en deux pièces, contenant remède d’apaisier deux hommes quant ilz se entrebatent, qui lui a baillé ne où il l’a prins : dit que ung an a et plus,ung sien clerc, nommé Guillaume (autrement ne scet son nom), lui bailla le dit brevet à Poictiers, et lui dist qu’il estoit bon aquant deux hommes s’entrebatoient, et qu’il falloit prendre une pomme et escripre ce mot : Hadan, inscript oudit brevet, et l’escripre en ladite pomme, puis la gecter par terre entre les deux qui s’entrebatent, et ilz se apaiseront ; mais dit sur son ame que oncques en sa vie il ne l’essaia ne ne le fist, ne ne le bailla pour essaier à personnes qui soient vivans, et en veult croire tous ceulx qui en sauraient parler.
Interrogué sur le huictiesme article, que signiffie ung autre brevet en parchemin de la largeur de demi doy, qui est escript en latin, et y a plusieurs croix : dit qu’il ne scet qui lui a baillé, à quoy il est bon, de quoy il sert, ne qu’il signiffie, fors qu’il lui semble qu’il est bon pour guérir des fièvres.
Interrogué sur le neufviesme article, que signiffie ung rollet de pappier où il y a escript plusieurs enseignemens pour savoir, quant on va dehors, s’on fera bien son voyage ou mal, ne comment il lui est possible de le savoir, en sçavant le nom de la première personne qu’on trouve à l’issue de la ville dont on se part : dit que, deux ans à et plus, lui estant à Poictiers, ung cordellier nommé frère Jean Boussin lui bailla le dit rollet, et lui dist que, quant il yroit dehors et à l’issue du lieu d’où il se partirait, qu’il prensist le nom du premier homme ou de la première femme qu’il trouverait ; puis après, qu’il regardast le dit brevet, et selon le contenu d’icellui qu’il saurait bien s’il ferait bon voyage ou non par les lettres qui dedans sont inscriptes ; mais dit sur son ame que jamais ne l’essaia ne bailla à autre pour l’essaier ; bien dit que autresfoiz a eu entendon de l’essaier, mais, quant il se partoit d’aucun lieu, ne lui ensouvenoit.
Interrogué sur le dixiesme article, pourquoy il escripvit en ung feullet de pappier et mectoit en mémoire de passer près Saint-Jehan d’Angeli, à Saint Martin de la Couldre, et de parler à la femme de Loys d’Aubeterre, maistre d’hostel de monsr de Guienne : dit que ainsi qu’il estoit au lieu de Latillé, près Poictiers, quatre moys a et plus, et s’en voulloit aller à Bourdeaulx, ung nommé maistre Phillebert, estant audit lieu de Latillé, lui dist que la femme dudit maistre d’ostel avoit à besongner d’unes heures du pris de xxv escuz, et que, s’il en avoit point de belles, qu’il les lui portast, et qu’il savoit bien qu’elle les achèterait ou lui en ferait faire unes autres du dit pris ; mais sur son ame dit qu’il n’y alla point, ne ne la veit oncques, ne jamais à elle il ne parla, ne pareillement aux autres inscriptz oudit rollet.
Interrogué qu’il avoit à besongner aux autres personnes et autres lieux inscrips oudit rollet : dit qu’il n’y avoit que besongner, sinon leur demander s’ihs avoient à besongner de lui de son mestier, parce que ledit messire Phillebert lui avoit dit, au dit lieu de Latillé, qu’il s’adressast à eulx; aussi avoit à besongner illecà ung nommé Jobannes, au dit lieu de Saint-Jehan, pour lui parler de certaines heures que faisoit ledit Joannes, lesquelles il qui depposé devoit enluminer, comme tout ce est escript plus à plain en ung autre procès par nous ja à lui fait; et dit sur la dampnacion de son Ame que esdits lieux et personnes il n’avoit à besongner que ce que dessus a depposé ; et est ce que signiffie ledit rollet et noms dedans inscriptz.
Interrogué sur le onziesme article, que signiffient ne à quoy sont bonnes ne quelx vertus ont plusieurs oroisons inscriptes en ung rolle de pappier bien long, où il y a plusieurs croix, et y est escript que toute personne qui portera la dite oroison ne mourra de mort subite ; aussi s’elle est gectée sur une personne qui aura le déable au corps, il en fera sortir ; pareillement, sur une femme qui sera mallade d’effant et ne le pourra avoir, lui fera sortir ; aussi toute personne qui les dira tous les jours aura vraye cognoissance de sa mort trois jours devant qu’il meure : dit que, trois ans a ou plus, lui estant en la ville de Lyon, et venoit de Lombardie, et s’en venoit à Poictiers, ung nommé Jehan Potier (autrement ne le cognoist ne ne scet son nom de quoy il sert) lut bailla lesdites oroisons, et lui dist qu’elles est oient bonnes pour porter avecques soy de paour de feu, d’eaues et autres malles adventures, et lui dist et declaira que, s’il les disoit tous les jours qu’il saurait bien sa mort trois jours avant qu’il morust, et en effect lui declaira les puissances et vertus des dites oroisons, ainsi qu’ il est escript cy dessus ; mais dit sur son ame que jamais ne l’essaia ne fist essaier en aucune manière.
Interrogué que signiffient cinq petiz brevets en parchemin qui sont atachez au bout des dites oroisons, quelx vertu ilz ont, à quoy ilz sont bons ne où il les a prins, et premièrement interrogué sur le premier d’iceulx : dit que en icellui est escript : Lyessetel Dominum Sudaly Crucis Crucis Gelyn Agantabell Oyel. Et dit que s’est pour guérir des dens. Que signiffient les croix qui y sont ne que s’est à dire en françois les dits motz, il ne le scet pas et ne le saurait declairer. Et dit, sur ce interrogué, que les dits cinq brevetz il extrahit à Poictiers, trois ou quatre ans a ou environ, d’un livre appartenant à frère Jehan Boussin, cordellier, nommé cy devant ; et n’a sceu lire ne declairer qu’il y a escript en deux petites lignes qui sont escriptes oudit brevet, au dessus du latin cy devant dit.
Interrogué sur le deuxiesme brevet, qu’il y a escript et qu’il signiffie : dit qu’il ne saurait lire ce qui y est escript, mais scet bien qu’il signiffie et à quoy il est bon, et dit que s’est pour savoir quans jours desvoyez il y a en ebascun moys ; dit qu’il ne le saurait congnoistre sur le dit brevet, ne ne scet quans jours il y doit avoir desvoyes en chascun moys, fors qu’il lui semble que en janvier y en a deux ; s’ilz sont en commancement, au milieu ou en la fin, il n’en scet riens.
Interrogué sur le troisiesme brevet, où il est escript en françois : « Charles, au lundi, mercredi et vendredi ; Simon, au vendredi, assailliz ; André, au mercredi ou au jeudi; Pierre, au lundi, mercredi ou jeudi, accordez ; Guillaume, au mercredi ; et, se le dit Guillaume vous assault, si vous deffendez ; Etienne, au jeudi ou au lundi, et vous accordez » ; que signifient les choses cy dessus escriptes : dit que, lui estant à Poictiers, trois ans a ou environ, où il besongnoit de son mestier d’enlumineur et avoit plusieurs grans serviteurs dont il ne se pouvoit aidier, à ung jour entre autres se aparla avecques frère Jehan Boussin et lui dist qu’il avoit des serviteurs dont il ne se povoit aidier, comme dit est, et avoit doubte qu’ilz le voulsissent maller s’ilz lui disoient aucune chose ; et le dit Boussin lui dist qu‘il avoit ung livre d’astrologie duquel il lui extrairoit ung brevet de ce qu’il devrait faire, et que selon les noms d’eulx il les conduiroit paisiblement, et aussi es autres jours, s’il leur demandoit riens, qu’ilz le pourroient maller. Et au regard de Charles, premier nommé, dit qu’il devoit parler à lui mercredi et vendredi pour bien besongner ; l’autre, nommé Simon, s’il lui demandoit riens au vendredi, il se povoit deffendre sans qu’il le peust maller ; André, au mercredi ou au jeudi pareillement ; Pierre, au lundi ou au mercredi ou jeudi, s’ilz avoient noise lui et ledit Pierre, ans dits jours ilz se accorderaient bien ; l’autre, nommé Guillaume, au mercredi parler à lui, et, se le dit Guillaume l’assailloit, qu’il se deffendeist ; l’autre, nommé Jehan, au vendredi, et, s’il l’assailloit, qu’il se deffendist ; l’autre, nommé Estienne, parler au jeudi ou au lundi, et que, s’ilz avoient noise, qu’ilz accorderaient. Interrogué sur le quatriesme brevet, où il est escript au commencement : « Les bons voyages que je doit faire au signe de Virgo, en aoust ou en septembre », que signifie icellui brevet : dit que ce qui est escript oudit brevet signifie et par icellui povoit congnoistre les bons voyages qu’il devoit faire, tant en marchandise que autrement, en quelconque lieu qu’il deust aller, et, par les planectes escriptes oudit brevet, et selon icelles et le jour de son partement, s’il devoit avoir bien ou mal.
Interrogué sur le cinquiesme desdits brevetz, où il est escript : « Ebrodus, unus Deus, miserere met; sur ung vollet gras, d’un poinsson, et qu’il se tourne devers soulleil levant et picque chascune lectre, etc., die Pater noster, Ave Maria »; que signifie ne à quoy il sert : dit que s’est pour guérir des dans, et qu’il faut prendre ung vollet gras, et avec ung poinsson escripre dessus ces cinq motz dessus escriptz : Ebrodus, etc., et sur chascun mot picquer ung couple poinsson, puis dire la Patenostre et l’Ave Maria ; et, incontinent ce fait, dit qu’il semblera à cellui qui a le mal de la dent que les poinctures qui seront faictes sur les dites cinq lectres lui redonderont sur le mal de la dent, et par ce moyen guérira. Interrogué comment il le scet : dit qu’il le scet parce qu’il, trois ans a ou environ, lui estant à Crotelles, près Poictiers, il lui fut essayé par ung passant son chemin, que jamais il n’avoit cogneu ne depuis ne le vit, et dit sur la dampnacion de son ame que depuis ne l’essaia ne ne feist essaier ; et dit, sur ce interrogué, que pareillement est pour guerison de dens où il y a au commancement : « In nomine Patris et Filii », ataché aus dits cinq brevetz, et est l’oroison de saincte Apolline.
Interrogué que signifie ce qui est escript en ung brevet de pappier aussi ataché aus dits cinq brevetz, où il y a escript : « Messire Girault Cressonnier, de Saint-Andrieu, demourant à l’oustau de monsr de Saint James » ; et en latin : « Resta prosa Prope est claritudinis, que est quarta dominica Adventus » ; dit que messire Girault s’est ung prebstre demourant à Bourdeaulx, à qui il avoit vendu ung petit messel, deux ans a ou environ, et, pour ce que en icellui messel restoit à mectre une prose où il y a « Prope est claritudinis, que est quarta dominica Adventus », il le mist en mémoire, afin qu’il n’oubliast de le mectre ou dit messel.
Interrogué sur le douziesme desdits articles, s’il a aucuns mauvaiz esperiz familliers ou a eu : dit que non ; s’il a fait aucunes invocacions de deables qui lui aient aprins la science de faire chiffres et carataires : dit que non ; combien de temps il y a qu’il a usé des dits brevetz, carataires, chiffres et de toutes les choses dessusdites, ne en quielx lieux ne à quelles personnes : dit par le serement qu’il a fait, et sur la dampnacion de son ame, que jamais de toutes et chascunes les choses dessus dites ne de chascune d’iceiles il ne usa ne ne s’en aida, ne feist fere par autres, fors en la manière et ainsi qu’il a depposé cy devant. Et est ce qu’il deppose.
* Guillaume Suffleau, seigneur de Vaulehart, 1467, lieutenant du sénéchal et élu du Mans en 1465 et 1466, fut plus tard appelé à la présidence de la Chambre des Comptes d’Anjou et du Maine, dont il prit possession le 13 décembre 1471 (Paris, Archives Nationales. P. 1343).
** Peut-être de la famille Bouchard, branche de Saint-Martin de la Coudre : une fille de Louis Bouchard [ lien ]
(A) Saint-Martin de la Coudre, à Bernay-Saint-Martin, près de Saint-Jean d’Angély
(B) Poléon, Saint-Georges-du-Bois
Source : Paris, Archives nationales, J 950, n° 13, 14.
Edition : A. Lecoy de la Marche, \ »Interrogatoire d’un enlumineur par Tristan l’Ermite\ », dans Revue de l’art chrétien, 1892, p. 396-408 [ en ligne ]
Biblio : Véronique P. Day, \ »Portrait of a Provincial Artist: Jehan Gillemer, Poitevin Illuminator\ », dans Gesta, Vol. 41/1, 2002, p. 39-49.
Note : le patronyme Guillemer, Gillemer, se rencontre essentiellement en Bretagne, dans les départements actuels d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-d’Armor.
François Avril (Manuscrits à peinures, p. 159) se demande si Guillemer ne fait pas qu’un avec le peintre Jean de Laval, documenté dans les années 1463-1468 …