10 Mar 2011
Jean-Luc Deuffic

Les Heures du « Maître aux Fleurs » : pour un commanditaire breton ?

L’enluminure flamande a engendré d’admirables artisans et les noms de Simon Marmion, Simon Bening, Rogier van der Weyden, Gerard David, Jan van Eyck, et tant d’autres, restent attachés à de superbes productions.

Nous aimerions simplement parler ici d’une oeuvre bien particulière, les Heures du Maître aux Fleurs, un Livre d’heures en deux volumes conservé à la bibliothèque parisienne de l’Arsenal, ms 638/639, auquel ont collaboré :
<> le Maître du Livre de prière de Dresde (ca 1465–1515) à qui l’on doit entre autres : Livre d’heures du Fitzwilliam Museum ; Heures de Jean Carpentin, seigneur de Graville ; Heures, Jean Paul Getty Museum ; Bréviaire de la reine Isabelle de Castille (1480, London, BL, Add. 18851 ; Pierpont Morgan Libary M 1077 (R. S. Wieck, Painted Prayers, 1998, n° 72) ; Livre d’heures de la BL, Egerton 1147; etc. ). Nommé à partir d’un Livre d’heures conservé à Dresde (Dresden, Sächsische Landesbib., A311 ; plus 2 miniatures détachées à présent au Louvre (Paris), inv. 20694 et bis), actif à Bruges à partir de la fin du XVe s., cet enlumineur prolifique  a travaillé sur une cinquantaine de manuscrits, surtout apprécié pour ses vignettes illustrant les marges des calendriers, où son art s’est pleinement épanoui.  
<> le Maître des Livres de prières ca 1500, connu notamment par un exemplaire du Roman de la Rose (c. 1490-1500, Londres, BL, Harley 4425), sans doute commandé par Engelbert II de Nassau, courtisan de Charles le Téméraire. 
<> un \ »disciple\ » de Simon Marmion

Les Heures du Maître aux Fleurs, acquises par M. de Paulmy (1722-1787, fondateur au XVIIIe siècle de la Bibliothèque de l’Arsenal) avaient été jugées par leur acheteur : Ce beau manuscrit en deux volumes ne m’a couté que deux louis, mais il vaut davantage… 
Si la critique s’est surtout emparée de la décoration de ces Heures, l’identité de son commanditaire n’a jamais, il me semble, été abordée. L’étude du calendrier latin pourrait cependant nous mettre sur une piste. En effet, une remarque s’impose : la présence caractéristique de saints bretons, particulièrement nantais ne peut être le fait du hasard. Voici cette liste  :
Janvier
8 Felix ev. (Nantes)
29 Gildas (Bretagne, Nantais)
Février
8 Salomon m. (Bretagne) 
Mai
19 Yves conf (Bretagne)
24 Donatien ev. (Nantes)
Juin
17 Similien ev. (Nantes)
18 Hurnei conf. (sic, pour Hervé, Bretagne, mais honoré à Nantes, reliques. Le copiste a-t-il mal lu son modèle ?)
21 Meen ab. (Bretagne)
Juillet
12 Turiaw (Thuriaui epi) (Bretagne)
Août
16 Armel conf. (Bretagne)
Octobre
24 Martin ab. (Nantais, Vertou)
29 Yves conf. (Bretagne)
Novembre
15 Malo ev (Bretagne)
Décembre
12 Corentin ev (Bretagne)


© Paris, Arsenal, 638, f. 12v. Décembre. Corentini, au 12. Maître du Livre de prière de Dresde

Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises les liens culturels entre Flandre et Bretagne (voir dernièrement nos Notes de bibliologie, p. 292-293) qui ont conduit plusieurs nobles ou bourgeois bretons a passer commande de manuscrits auprès des ateliers flamands.  Les Heures à l’usage de  Gand ou Bruges des malouins Jean de Noual et Jeanne Mayngart ont ainsi été illustrées par le Maître de l’Ancien Livre de Pières de Maxilmilien 1er, et le Maître des Livres de Prières. Voir encore cet autre Livre d’heures à l’usage de Saint-Malo, Bruges, ca 1470 (Sotheby’s, 2001, lot 42). Il ne serait donc pas étonnant que les Heures du Maître aux Fleurs soit une commande bretonne…

Les relations de la Bretagne avec la Flandre avaient commencé dès le xiiie siècle. Elles se développèrent au xve siècle, grâce à l’alliance de François II avec Charles-le-Téméraire. Les Bretons fréquentaient surtout les grandes foires de Bergues, Bruges et Anvers. Celle de Bergues commencait huit jours après Pâques ; celle de Bruges s’ouvrait à la Sainte-Croix de Mai ; celle d’Anvers arrivait trois jours après la Pentecôte. Elles duraient chacune trois semaines. Les marchands y affluaient de toutes les parties de l’Europe. Les Bretons y portaient du drap de Rennes, du canevas de Vitré, de la toile et du sel. Ils achetaient de la mercerie et de l’épicerie, de la cire, de l’étain, du plomb, de l’alun, de la couperose, de la noix de galle, du fil de fer, du laiton, du gratte-fil de laiton, de la tôle, du cuivre, toute espèce de quincaillerie. Ils faisaient même des provisions de harengs. Parmi les négociants habitués à fréquenter ces foires figurent André Bernadaie, do Rennes, Bertrand Lebreton, Jean Ravenel, Macé Delaunay, de Vitré, Pierre Calays, Guillaume Loisel, Jean Maillard, Georget Day, Guillaume Lucas, Jean Legouz, Georget Lize, de Rennes. Tous étaient de riches négociants, qui figuraient parmi les notables de leur ville. A leur compagnie s’ajoutaient des marchands de Dol, Dinan, Montfort, Montcontour, Saint-Malo, Morlaix. Saint-Brieuc, Quintin, Tinténiac. Ils avaient en Flandre des facteurs et des commis chargés de veiller à leurs affaires, des correspondants qui emmagasinaient leurs marchandises. Ils ramenaient en Bretagne de grosses cargaisons, qu’ils vendaient aux foires de Rennes (M. Dupuy, L’industrie et le commerce en Bretagne au XVe siècle, dans Bulletin de la Société académique de Brest, VI, 1879-1880, p. 67).

Description du manuscrit de l’Arsenal :
Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, I, p. 482-484.
Sur la base Luxury Bound d’Hanno Wijsman http://www.cn-telma.fr/luxury-bound/manuscrit2538/

Pour l’étude de la bibliothèque de Paulmy, qui fut à l’origine de la bibliothèque de l’Arsenal, on consultera, entre autres : Antoine-René d’Argenson, marquis de Paulmy : 1722-1787, Exposition à la Bibliothèque de l’Arsenal (24 juin-31 août 1987), Paris, Bibliothèque nationale, 1987, [20] p., portr., couv. ill.  Danielle Muzerelle, « La bibliothèque de Monsieur le Marquis de Paulmy [suivi de quatorze lettres inédites du Marquis de Paulmy] », dans Voyages de bibliothèques. Actes du colloque des 25-26 avril 1998 à Roanne [organisé par l’] Institut Claude Longeon Renaissance et Age classique, Université Jean Monnet, Saint-Etienne ; textes réunis par Marie Viallon, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999.

Biblio :
Henry Martin et Philippe Lauer, Les principaux manuscrits à peintures de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris (Bulletin de la Société française de reproductions de manuscrits à peintures, 11), Paris 1929, p. 59 (ill. 84 : f. 106, 111)
Paul Durrieu, La miniature flamande au temps de la cour de Bourgogne (1415-1530), Bruxelles, 1921, n° 82 (f. 48)
Antoine De Schryver, ‘De miniatuurkunst te Gent’, Gent. Duizend jaar kunst en cultuur, exhib. cat., Ghent 1975, p. 323-396, n° 625b
Georges Dogaer, Flemish Miniature Painting in the 15th and 16th centuries, Amsterdam, 1987.
Bodo Brinkmann, Die flämische Buchmalerei am Ende des Burgunderreichs : der Meister des Dresdener Gebetbuchs und die Miniaturisten seiner Zeit, 2 vol., Turnhout 1997, n° 37, p. 13, 305-307, ill. 308-310.
Elisabeth Antoine et al., Sur la terre comme au ciel. Jardins d’occident à la fin du Moyen Âge. Catalogue, Paris 2002, n° 99.
Anne-Marie Legaré, « The Reception of the Dresden Prayer Book Master in the Hainaut », dans J. Hamburger, A. Korteweg (eds.), Tributes in Honor of James H. Marrow Studies in Painting and Manuscript Illumination of the Late Middle Ages and Northern Renaissance, Brepols, 2006.

4 Mar 2011
Jean-Luc Deuffic

PORTICVM : nouvelle revue d’études médiévales


Porticvm, a digital journal of medieval studies appearing annually, aims to provide a platform for the work of young researchers in medieval art history. The editorial board consists of PhD students from European and North American universities, working on various aspects of medieval art and culture. We encourage interdisciplinary submissions, as well as those with a particular focus on Romanesque and Gothic Art.
Adresse web

3 Mar 2011
Jean-Luc Deuffic

Royal Manuscripts : a Conference at the British Library

ROYAL MANUSCRIPTS

A Conference at the British Library, London 12-13 December 2011

In 1757 King George II presented around 2000 manuscripts of the royal library to the newly founded British Museum. These manuscripts, collected by the kings and queens of England from the ninth to the sixteenth centuries, form the unique collection held by the British Library known simply as ‘Royal.’ The Royal collection preserves the medieval and Renaissance libraries of the kings and queens of England, and includes within these illuminated manuscripts most of the surviving medieval paintings owned by them.

From 11 November 2011 to 11 March 2012, approximately 150 royal manuscripts will be featured in a major exhibition at the British Library. The research for this exhibition has been funded by a grant from the Arts and Humanities Research Council. The research team is headed by Dr Scot McKendrick, Head of History and Classical Studies, The British Library, and Professor John Lowden, Courtauld Institute of Art, University of London. As part of this project the British Library will hold an international conference in December 2011 to encourage collaboration on these manuscripts and discussion of contextual issues of power, stylistic influence, political motivations and rivalries with Europe, public and private devotion, education and knowledge, and artistic production in a variety of media.
Scholars from all disciplines are invited to submit proposals for twenty-minute papers. We hope to have sessions on the historical context and formation of the royal collection, conservation and preservation issues, buildings and royal palaces, and inventories and medieval libraries, in addition to papers devoted to illuminated manuscripts in the Royal collection. Papers that treat renowned Royal manuscripts and those focusing on lesser known manuscripts are equally welcome. The conference proceedings will be published by British Library Publications.

If you would like to take part, please send a short abstract and a concise CV by 31 May 2011 to Dr Kathleen Doyle, Curator of Illuminated Manuscripts, kathleen.doyle@bl.uk or The British Library, 96 Euston Road, London, NW1 2DB.

Catalogue of Illuminated Manuscripts, http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/welcome.htm

28 Fév 2011
Jean-Luc Deuffic

Det Kongelige Bibliotek NKS 165, 4° : « Les obfuscations du monde ». Une œuvre ignorée de l’organiste Jehan Daniel dédiée à la reine Claude de France († 1524)

Il faut parler de madame Claude de France, qui fut très-bonne et très-charitable, et fort douce à tout le monde, et ne fit jamais desplaisir ny mal à aucun de sa cour ny de son royaume. Elle fut aussy fort aymée du roy Louys et de la reyne Anne, ses pere et mere, et estoit leur bonne fille et la bien aymée, comme ils luy monstrerent bien ; car, après que le roy fut paisible duc de Milan, ils la firent declarer et proclamer en la cour de parlement de Paris, à huys ouverts, duchesse des deux plus belles duchés de la chrestienté, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du pere, et l’autre de la mere. Quelle heritiere ! s’il vous plaist. Ces deux duchés joinctes ensemble eussent bien faict un beau royaume… Oeuvres Complètes de Pierre de Bourdeille


Portrait de Claude de France. Anonyme. XVIIe s. © Chantilly, musée Condé.

Det Kongelige Bibliotek conserve sous la cote NKS 165, 4° un manuscrit qui semble avoir été complètement ignoré des spécialistes de Claude de France. Nous travaillons à son édition prochaine… quelques éléments de cette étude:

Exécuté sur vélin, le NKS 165, in-quarto de 72 feuillets orné d’initiales en or sur cadres de couleur bleue et rouge, et de 6 miniatures pleine page, contient Les obfuscations du monde, une œuvre inédite de JEHAN DANIEL, organiste poète bien connu pour avoir produit entre autres plusieurs Noëls et chansons publiés vers 1525.

L’ŒUVRE : « LES OBFUSCATIONS DU MONDE »

Au f. 2 sont peintes les armes de France et de Bretagne, avec au-dessus un bandeau rouge où se lit en lettres d’or Claudia Francie Regina Vivat. Au-dessous, une hermine attachée à l’écu par un lacs d’amour, et ces vers :

Dune honneste chaînette amour tient en delis
Lermyne blanche et nette auec la fleur de lys

Au verso est une miniature où est représenté l’auteur offrant son livre à la reine Claude de France.
Plus après, la dédicace à la reine :

A lestoille matutinalle des dames, au mirouer et exemplaire de noblesse. A la prime fleur lilialle dextraction tout le lys enrichissant. A la souueraine ermine armoricalle, …

Au f. 43v :

Plus sont mordans que la dent dun lepurier
Auxi ilz ont vng excellent oupurier
Qui les enlace
Sainct yues est tout seul aduenturier
Dieu na que luy de proces cousturier
Il tient la place.

L’ouvrage se termine par un rondeau :
 
Du bon du coeur a vostre relieuee
Prendrez en gre tresillustre princesse
Cemien labeur au quel ie nay prins cesse
Tant que sentence y est oultre lieuee
Lœupure nest pas haultement enlieuee
Mais sil vous plaist prenez en la pocesse
       Du bon du cueur
Si la chose est des flateurs reprouuee
Cest leur scauoir qui partout les precesse
Il me suffit qui vous plaise et accesse
Car ie lay faict descripture approuuee
       Du bon cueur
Sil est faict en bretaigne et bretons ne sont hays
Tres iuste et noble reigne auouez vostre pays.
Si le sens nest touché en equitable affaire
Assez sont courocez quil ne scauent mieux faire.
Finis grace et Amour

Ce \ »grace et amour\ » se rencontre fréquemment in fine des oeuvres de Jehan Daniel…
Biblio : N.C.L. Abrahams, Description des manuscrits français du moyen âge de la Bibliothèque Royale de Copenhague (1844)
Det Kongelige Bibliotek

L’AUTEUR : JEHAN DANIEL

Les mises faites à la joyeuse venue et entrée du Roi et de la Reine (François 1er et Claude de France), à Nantes, en 1518, relatent que « Jehan Danyel, prebstre organiste de Notre-Dame de Nantes », reçut « pour avoir vacqué a faire partie des devys et ordonnances, pour les faintes des carrefours de ladite ville à ladite entrée, la somme de six escuz d’or, reduicte à monnoye de Bretaigne, vallant 10 livres ». C’est la plus ancienne mention de notre compositeur. Etait-il originaire de Bretagne ? Rien ne permet de l’affirmer pour lors.
Par la suite nous le trouvons à Angers où il fait imprimer plusieurs Noëls :
<> S’ensuyvent plusieurs Noëls nouveaulx / Chansons nouvelles de Nouel, composées tout de nouvel, exquelles verrez les pratiques de confondre les hérétiques. Jo. Daniellus, organista. S.L.N.D. [Angers, ca 1523] [ Lien ]
<> Chantzons sainctes pour vous esbattre / Elegantement exposées / Par ung prisonnier composées / C’est un mil cinq cens vingt et quatre. Jo. Daniellus, organista.
S.L. [Angers], 1524.
<> Chansons joyeuses de noel / Tres doulces et recreatives / Singuliers, suppellatives / Et sont faictes d’assez nouvel. Jo. Daniellus, organista.
S.L.N.D. [Angers, ca 1525]
<> Noëls joyeulx plain de plaisir / A chanter sans nul déplaisir / Johannis Danielis org.
S.L.N.D. [ca 1526]

Dès les années 1520 Jehan Daniel se trouvait à Angers (en 1525 il demeurait rue Baudrière, tout près de la cathédrale, ligne 11 de l’acte en ligne (Me Jehan Danyel dit my tou desservant en l’église sainct Pierre Dangiers ). Source : Odile Halbert.
Le 3 juillet 1521, il est conclu quod Johannes Daniel psaltor et organista dicte ecclesie (Sancti Petri) pro tactu organorum consequetur unam vestem competentem annuatim [centum soldos], et de cetero celebret duas missas qualibet ebdomada. Puis d’autres documents attestent de sa présence dans la capitale angevine entre 1525 et 1540 :
« Vénérable et discret maistre Jehan Daniel, presbtre, organiste et chappelain en l’église collégial de Monsieur sainct Pierre d’Angers et Jehan Provost organifacteur à présent demourant en ladicte ville d’Angers, dient et rapportent par leurs sermens sur ce faicts et prestés par devant vous Monsieur le lieutenant général, advocat et procureur d’Anjou, qu’ils ont congnoissance de l’église d’Angers dès le temps de seze ans ou environ, et en icelle ils ont hanté et fréquenté, mêmement ledict Daniel y a joué des orgues dès et depuis le temps de huit ans ordinairement. » (28 décembre 1533)

Cette déposition, malgré son laconisme, est bien précieuse ; c’est le renseignement biographique le plus étendu que nous ayons sur Jean Daniel. Elle nous révèle sa qualité de prêtre et de chapelain, l’église où if exerçait la profession d’organiste qu’il annonce dans tous ses ouvrages et tout naturellement dans ses Noëls, son séjour à Angers pendant huit ans, du commencement de 1526 à 1533, séjour remontant assurément même à une date plus ancienne, puisque les deux déposants disent qu’ils ont connaissance de l’église cathédrale « dès le temps de seize ans ».

En mai 1531, Jehan Daniel assiste aux funérailles grandioses de Guy XVI de Laval, sur lesquelles il nous a laissé une relation détaillée, publiée chez Jehan Baudouyn, imprimeur à Angers (mais venu de Nantes et Rennes), et dédiée à Gilles de Laval :

L’ordre funeste (funèbre ?), triumphante en pompe pitoyable tenue à l’enterraige de feu de bonne mémoire, très hault, très puissant, magnanime seigneur Monseigneur le comte de Laval, de Montfort, Quintin, sire de Victry, vicomte de Rennes, sire de la Roche Bernard, grand gouverneur et admiral de Bretaigne, ensemble lieutenant du roy, le très plainct et regraicté père de justice, le très-grant zélateur de paix, l’excellent ministre de charité, vroy port du peuple. Le tout contenu en une espitre envoyée à très hault et magnificque seigneur Gilles de Laval, seigneur de Louë, de la Haye en Tourayne, etc. (Exemplaire incomplet à la BM du Mans, 30927)

Cette relation nous fait connaître les liens qu’il avait entretenu avec Guy de Laval, dont il fut peut-être le confesseur …

En 1540 il est encore en charge de l’orgue d’Angers : Solvit magistro Johanni Daniel, organiste, pro gagiis suis pro anno presentis compoti XL l. (Angers, BM 667, compte de fabrique de 1540)

Dans le compte des cens, rentes et devoirs dus au prieuré, maison Dieu et aumônerie de Saint-Jean, de la Saint-Jean-Baptiste 1541 à la Saint-Jean 1544, on lit, au chapitre de la recepte, payable aux termes de Saint-Jean-Baptiste et de Noël par moitié, pour la rue Saint-Nicolas, la mention suivante :
« Maistre Jehan Loyseau, pour maistre Jehan Daniel organiste, pour feu maistre Alman Papot, pour une maison et jardrin sis en ladicte rue Sainct Nycollas, auxdictz termes par moytié de rente, X sous (3). »
A partir de cette date nous perdons la trace de notre organiste poète ….

Lien : Exemple d’un noël de Jehan Daniel : Tous les bourgeois de Châtre : Extrait par les Quatre Barbus.
Biblio : Henri Chardon, « Noëls de Jean Daniel dit Maître Mitou organiste de Saint-Maurice et chapelain de Saint-Pierre d’Angers 1520-1530 précédés d’une étude sur sa vie et ses poésies », dans Bulletin de la Société d’Agriculture, sciences et arts de la Sarthe, tome XXII, 1873-1874, p. 335-400.

« A LA SOUVERAINE ERMINE ARMORICALLE » …. CLAUDE DE FRANCE


Portrait présumé de Claude de France. Anonyme. XVIe s. ©Versailles, château de Versailles

En 1517, on construisit, à Paris, pour l’entrée de Claude, reine de France, un grand arbre généalogique dressé devant le Châtelet (voir les représentations, ci-dessous). Au sommet, se tenaient les représentations de la reine et de son époux, revêtus des insignes royaux. Dessous, se tenaient les deux précédents couples régnants : d’un côté, le père de Claude, Louis XII, et son épouse, la reine Anne de Bretagne, ainsi que le premier époux de cette dernière, Charles VIII, de l’autre, Louis XI et son épouse, Charlotte de Savoie, plus bas encore, Charles VI et sa femme, ancêtres de Claude, et Louis d’Orléans et Valentine Visconti, ancêtres de François Ier. (BnF) :

Puis vint ladicte dame devant Chastellet de Paris, ou elle trouva sur ung grant eschaufault ung arbre ayant plusieurs branches, comme ung arbre de Jessé. Sur le hault estoient ung roy et une royne couronnez, representant le roy et la royne, et de chascun costé d’icelles branches estoient plusieurs princes et princesses, roys et ducz de Bretaigne, remonstrant la lignee et genealogie dont estoit venue ladicte dame. Au bas duquel eschauffault y a voit quatre dames nommees Severité, Mansuetude, Loy et Coustume, car le Chastellet est le lieu de la justice ordinaire du roy. (Sacre, éd. Cynthia J. Brown, p. 305)

<> Le Sacre de Claude de France, London, British Library Stowe 582. ca 1517. Manuscrit ayant appartenu à Philippe, Comte de Béthune (+ 1649). 51 f. 220 x 150 mm. 10 grandes miniatures. Enluminure : Jean Coene IV ? Description.


© London, British Library, Stowe 582, f. 39


© Paris, BnF, Fr. 5750 f. 45. Le Sacre, couronnement, triomphe et entrée de la reine et duchesse, Madame Claude de France, 1517, Paris. Parchemin. 58 f.

Autres manuscrits du Sacre de Claude de France : Paris, BnF. Fr. 14116 ; Paris, Beaux-Arts 491 ; London, British Library Cottonian Titus A XVII …
Biblio : Voir essentiellement Cynthia J. BROWN, Pierre Gringore Les entrées royales à Paris de Marie d’Angleterre (1514) et Claude de France (1517), Droz, 2005 ; et récemment : The Queen’s Library : Image-Making at the Court of Anne of Brittany, 1477-1514, University of Pennsylvania Press, 2011.

Parmi les manuscrits liés à Claude de France :

<> Livre d’Heures de Claude de France, atelier du Maître de Claude de France entre 1515 et 1517
Ancienne collection Paul-Louis Weiller – Vente IV Livres, Autographes et Manuscrits. Vente à venir du 8 avril 2011 (adjugé 2 000 000 €).
Voir le Catalogue Gros & Delettrez en ligne

Les travaux de l’atelier du Maître de Claude de France sont reconnaissables à plus d’un titre. Tout d’abord ses formats minuscules et la précision de ses peintures sont remarquables. Ensuite, la conception architecturale de ses peintures est particulière, elles sont toujours exécutées sur le même principe, la colonne située sur la partie externe du feuillet est mieux finalisée que celle de la marge interne. Enfin l’utilisation des « cordelières », propres à Claude de France et François Ier, est très fréquente dans son ornementation. Il est d’ailleurs aujourd’hui incontestable que le Maître de Claude de France a été un certain temps attaché à la famille royale. On connaît aujourd’hui deux manuscrits exécutés pour Claude de France par l’atelier du maître enlumineur. Un Livre de Prières, malheureusement fort endommagé, recueilli par la Morgan Library and Museum de New-York, qui est plutôt une relation de la vie du Christ, de Marie et de nombreux saints, et ce Livre d’Heures contenant essentiellement l’Office Divin précédé du traditionnel calendrier illustré des miniatures commémorant les grands moments de la vie et du travail. La liturgie des Heures et le calendrier du présent manuscrit n’existent pas dans le Livre de Prières. Le précieux manuscrit minuscule (84 x 55 mm), en parfait état de conservation, est de 121 feuillets rédigés sur vélin, à 22 lignes à la page, calligraphiés en latin, d’une écriture romane, en noir, bleu, rouge et or avec des lettrines bleues, rouges et dorées. Les grandes lettrines sont blanches, sur fond doré encadré d’un large filet bleu. Les Heures de Claude de France à l’usage de Paris sont illustrées de 15 miniatures à pleine page et de 12 miniatures accompagnant le calendrier (Catalogue en ligne).

<> Livre d’heures [Tours, vers 1520]. New York, Pierpont Morgan Library, M.1171.
Album composé de onze miniatures découpées dans le calendrier d’un Livre d’heures et insérées dans des feuilles de vélin, chaque miniature illustrant l’un des travaux des mois surmonté d’une lunette contenant le signe du zodiaque correspondant, chacune d’une dimension totale de 70 x 70 mm, un encadrement doré dissimulant la jointure entre la miniature et le support, chaque page mesurant 130 x 170 mm, le verso des miniatures présentant les fêtes du 10e au 19e jour du mois, dont celles des évêques et archevêques de Tours, notamment les fêtes majeures de saint Lidorius (13 septembre) et saint Martin (11 novembre), la scène de la découpe du cochon en décembre est une miniature du XIXe siècle peinte à même le feuillet de vélin (petit éclat de peinture sur le visage de la femme et bavure sur le visage de l’homme dans la miniature de janvier). Maroquin vert du XIXe siècle à contreplats du vélin ivoire doré de Trautz-Bauzonnet. Provenance : probablement vente du comte de Lignerolles, janvier-février 1894. Ces exquises miniatures sont l’œuvre d’un enlumineur actif à Tours dans le premier quart du XVIe siècle et connu sous le nom de Maître de Claude de France en raison des deux manuscrits réalisés pour Claude, fille d’Anne de Bretagne et de Louis XII, épouse de François Ier et reine de France : un Livre de prière (New York, Morgan Library M.1166  et un Livre d’Heures (collection particulière). Les scènes de cet album présentent des ressemblances frappantes avec les miniatures calendaires des Heures de Claude de France. Dans les Heures de Claude, les miniatures sont également d’une demi-page de haut, placées au-dessus de chaque fête pour le premier tiers du mois. Les sujets sont semblables et les compositions similaires sans être identiques. La fluidité des mouvements et l’intégration plus convaincante des personnages dans le décor laissent penser que les scènes de ce calendrier pourraient être légèrement postérieures aux Heures de Claude. Parfois, la scène se focalise sur un seul personnage en un effet délicieux, comme dans la miniature de mai où la jeune femme assise avec son amant dans le manuscrit de Claude devient une jeune fille dans une roseraie confectionnant une guirlande de mai. L’enlumineur était manifestement attaché d’une façon ou d’une autre au service de la famille royale ; on connaît d’autres manuscrits de sa main, dont un Livre d’heures pour la sœur cadette de Claude de France. Son style se caractérise par la délicatesse et le raffinement de sa technique – les formes et les couleurs sont données par des coups de pinceau brefs et des touches presque pointillistes – et par la création de scènes aux atmosphères évocatrices. Dans ces miniatures calendaires, il atteint l’apogée de son élégance et de son accomplissement. Leur qualité égale celle des chefs-d’œuvre que le Maître de Claude de France produisit pour sa royale mécène. Ces miniatures constituent un ajout significatif à son œuvre.
Calendrier, provenant d’un Livre d’Heures, en latin, enluminé par le Maître de Claude de France. Acquisition à la  Vente Christie’s du 25 juin 2009. Provenance : Bibliothèque royale de Claude de France. Fonds Edwards. Manuscrit référencé en 1817 par Thomas Frognall Dibdin dans le tome I de son « Decameron bibliographique » (p. 180) – Bibliothèque Evans Fonds Pickering, libraire à Piccadilly (1845) – Bibliothèque George Daniel à Canonbury.
Je remercie Roger S. Wieck, Curator, Medieval and Renaissance Manuscripts, à la Morgan, qui m’apprend l’acquisition récente de ce manuscrit par la célèbre bibliothèque de New York.

<> New York, The Pierpont Morgan Library, ms M.1166 : The Prayer Book of Claude de France – Provenance : gift of Mrs. Alexandre P. Rosenberg in memory of her husband Alexandre Paul Rosenberg, 2008 © The Morgan Library & Museum

Facsimilé
Le livre de prières de Claude de France – joyau personnel de la jeune reine : New York, The Pierpont Morgan Library, MS M.1166
http://www.quaternio.ch/fr/le-livre-de-prieres-de-claude-de-france

Quelques oeuvres attribuées au Maître de Claude de France :
<> Ecouen, Musée de la Renaissance : saint Augustin et saint Cyrille travaillant à des pupitres. Miniature France, début du XVIe siècle. ECL 11764.
<> Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Feuillets d’un Livre d’heures : Saint Antoine de Padoue, Sainte Geneviève (8° 547 F 74 (n°53 et 54)
<> Paris, Arsenal, 291. Heures à l’usage de Rome.
<> Lyon, Bibliothèque municipale, ms 1558. Miniature ajoutée : saint Jérôme devant le Christ en Croix.
<> Angers, Bibliothèque municipale, ms 2111 : Livre d’heures à l’’usage d’Angers (vers 1510-1520) 23 enluminures de l’’atelier du Maître de Claude de France. Galerie Les Enluminures (Paris, Louvre des antiquaires), avril 2007. Cf. Archives d’Anjou, t. 11, 2007, p. 196-202.
<> Il Codice Valois, il Vangelo del Delfino di Francia, ms 2020 della Biblioteca Casanatense.
<> Biblioteca Estense Universitaria di Modena, Lat. 614 :  Les petites prières della duchessa di Ferrara.
<> London, British Library, Add. 35315. Heures à l’usage de Rome.

Bibliographie
C. J. STERLING, The Master of Claude, Queen of France, a Newly Defined Miniaturist, New York, H.P. Kraus, 1975.
J. BACKHOUSE, The Master of Claude, Queen of France, dans The Burlington Magazine, CXVIII, 1976, p. 524-526.
F. O. BÜTTNER,  Zur französischen Buchmalerei um 1500. Bemerkungen anläßlich zweier Publikationen, dans Scriptorium, 32, 1978, p. 290-303.
F. AVRIL & N. REYNAUD, Les manuscrits à peintures en France 1440-1520, 1993, p. 319-323.
Valérie AUCLAIR, François AVRIL, Philippe BRAUNSTEIN, L’art du manuscrit de la Renaissance en France. Paris, Samogy éditions d’art ; Chantilly, Musée Condé, Château de Chantilly, 2001.
R. S. WIECK, “The Primer of Claude de France and the Education of the Renaissance Child” in The Cambridge Illuminations. The Conference Papers, ed. by S. Panayotova, London, Harvey Miller, 2007, p. 267-277; Das Gebetbuch der Claude de France. MS M.1166. The Pierpont Morgan Library, Commentary to the Facsmile Edition, New York, Luzern, 2010 ; The Prayer Book of Claude de France, in The Medieval Book : Glosses from Friends & Colleagues of Christopher De Hamel, James H. Marrow, Richard A. Linenthal, and William Noel, ed., ‘t Goy-Houton, 2010, p. 183-95.

<> Chantilly, Musée Condé, ms 515. Histoire de Palamon et Archita (poème, par Anne de Graville). In-4°, 96 f., mar. vert, coins à petits fers, tr. dor., armes. (Bauzonnet.)
Précieux manuscrit sur vélin, portant sur le deuxième feuillet les armes de Claude de France, première femme de François 1er. L’écu, entouré d’une cordelière, est placé au milieu d’un grand G formé par quatre hermines héraldiques et posé lui-même sur un champ lilas semé de G et d’hermines. Toute la page est encadrée d’une riche cordelière.
En regard, et au verso du premier feuillet, est une dédicace de 18 vers, à la reine, commençant ainsi :
Si J’ay emprins, ma souveraine dame…
Au bas, sur un listel, est écrit :
J’en garde un leal, anagramme bien connu d’Anne de Graville. Anne de Graville, fille du célèbre amiral de Graville, dame d’honneur de Claude de France, aimait beaucoup les livres. 

<> Paris, Arsenal 5116. Même texte. Quelques images sur la base photos de Paris BnF. Sur ce manuscrit lire l’Histoire de Marcoussis … Il porte des armes jusqu’ici non identifiées : de gueules à trois têtes de lapin arrachées, deux en chef et une en pointe. Nous proposons d’y voir celles de la famille normande Dumont de Bosquatet, dont la généalogie est en ligne.
Biblio : Myra D. ORTH, « Dedicating women : manuscript culture in the French Renaissance. The cases of Catherine d’Amboise and Anne de Graville », in Journal of the early book society, 1997, t. I, p. 17-47.
Je remercie Guillaume Berthon pour m’avoir signalé ce manuscrit.
Sur Anne de Graville lire par exemples :
Mawy Bouchard, « Le roman \ »épique\ » : l’exemple d’Anne de Graville » dans Études françaises, vol. 32, n° 1, 1996, p. 99-107, en ligne http://id.erudit.org/iderudit/036014ar
Encyclopedia of women in the Renaissance [en ligne]

LA MORT DE CLAUDE DE FRANCE

Les Croniques de François Ier, publiées pour la première fois en 1859, relatent que : « Le 26e jour du moys de juillet 1524, environ heure de midy, de ce siècle décéda la perle des dames et cler mirouer de bonté, sans aulcune tache, madame Claude, reyne de France,  fille du feu roy Louis XII de ce nom, laquelle fut moult regretée, et fut son corps mis en un sercueil, en la chapelle du château de Blois, où il fut longtemps sans être inhumé. Et pour la grant estime de saincteté que l’on avoit d’elle, plusieurs luy portoient  offrandes et chandelles, et atestoyent aulcuns avoir été guéris et salvez de quelques maladies par ses mérites et intercessions ; et mesmement une notable dame qui affermoit avoir receu par ses mérites guarison d’une fiebvre qui jà par longtemps l’avoit tourmentée. »
Les funérailles de Claude de France donnèrent lieu à l’impression d’une plaquette :
L’ordre qui fut tenu à l’obseque et funerailles de feu magnanime et tres excellente princesse Claude, par la grace de Dieu royne de France et duchesse de Bretaigne (1524). Petit in-8 gothique de 8 feuillets. Exemplaire : Bibliothèque de Nantes, 48408R.
De même, voir : La doloreuse querimonie de bles soy disant jadis reale ville pour la transportation delle a Sainct Denys en France. Du corps de feuee tresillustre reyne de France duchesse de Bretaigne maistresse des vertus. Madame Claude. [S.l.] : [s.n.] [ca 1524] [4] f. : ill. gr. s. b. ; 8°. Exemplaire : Bibliothèque de Versailles, Goujet in 8 164
Et un recyclage d’André de La Vigne:
Les epitaphes et // rondeaulx. Composez sur le tres // pas de feue, Tresexcellete et tres // debōnaire princesse Claude par // la grace de Dieu Royne de france // et duchesse de Bretaigne. — Finis.
S. l n. d. [Paris ?. 1524], pet. in-8° goth. de 4 f., impr. en lettres de forme. Au titre, un bois des armes de France supportées par deux anges. Paris BnF, Réserve Y. 4481 dans un recueil, qui porte l’ex-libris de Félibien et qui provient en dernier lieu de Louis XVI (Inventaire de L. Capet, n° 17 10). Bibliothèque de Versailles, Goujet in 8 164.
Traité des pompes funèbres, de Lemaire de Belges, dédié à Claude de France, dans Paris, BnF, Fr. 22326, f. 81-107.
Testament de Claude de France du 28 juillet 1524 (copie dans Paris, Bibliothèque de l’Institut, manuscrit Godefroy 307, f. 104-105) [ Lien ] [ lien ] [ lien ]

Je remercie Anders Toftgaard du département des manuscrits et des livres rares de la Kongelige Bibliotek pour sa collaboration.

CREDIT ICONOGRAPHIQUE
London, British Library
New York, Pierpont Morgan Library
Paris, Bibliothèque nationale de France
Chantilly, Musée Condé
Versailles, château de Versailles

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