10 Sep 2015
Jean-Luc Deuffic

Les livres d’heures des Pontbriand

Nous avons ici-même décrit le livre d’heures d’Isabeau de Pontbriand(t) à l’usage de Saint-Malo, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque de Rennes Métropole (ms. 1277)

Rennes_1277_a.jpg 
© Rennes, Bibliothèque Métropole, ms. 1277. La Crucifixion.

Cette même bibliothèque possède le manuscrit (1219) d’un autre membre de cette famille, probablement Olivier de Pontbriand, qui mourut en 1505, Trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, où il fut inhumé. Ses armes, avec mitre et crosse, figurent sur ce livre d’heures, apposées sans doute lorsqu’il était abbé commandataire de Saint-Pierre de Préaux, monastère bénédictin de l’ancien diocèse de Lisieux (Normandie), où il fut nommé par ordre du roi après 1482.

Rennes_1219_f_19_armes.jpg
© Rennes, Bibliothèque Métropole, ms. 1219, f. 19. Armes de Pontbriand : d’azur au pont de trois arches d’argent, maçonné de sable

Olivier de Pontbriand fut probablement en possession d’un autre livre d’heures, issu du trésor de la primatiale de Lyon (Lyon, BM, 5143). Ce manuscrit s’ouvre par un feuillet décoré aux armes des Pontbriant, et une note ancienne nous apprend qu’il fut anciennement entre les mains de deux familles bretonnes, seigneurs des Fossés à Plélan-le-Petit (arrondissement de Dinan, Côtes-d’Armor) : La Bouexière et Desnos (ou Des Nos).
Olivier de Pontbriand en fit don à sa soeur aînée.

Ms_5153__f._13v-14.jpg
© Lyon, Bibliothèque Municipale, ms. 5153. Armes de Pontbriand.

Enfin, signalons, le livre d’heures de Pierre de Pontbriand et Anne de Peyronenc, faisant partie des collections de la prestigieuse bibliothèque parisienne de Sainte-Geneviève (ms. 2705), où le couple est représenté en prière :

Ste_genevieve_2705_3v.jpg
© Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 2705, f. 3v
 
Dans la chapelle de la Sainte-Epine au château de Montréal, à Issac, en Dordogne gisants de son fils François et de sa femme.


Source

La décoration du manuscrit de Sainte-Geneviève est attribuée à l’atelier du célèbre Jean Bourdichon :

Ste_genevieve_2705_f._021v.jpg
© Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 2705, f. 21v

=====  Ces manuscrits feront l’objet d’une notice plus importante dans notre prochain ouvrage (2016), où seront décrits près de quatre cent livres d’heures : « Car sans heures ne puys Dieu prier … » / Le livre d’heures enluminé en Bretagne / The Illuminated Book of Hours in Brittany  =====

8 Sep 2015
Jean-Luc Deuffic

10 ans déjà !

Près de 700 billets publiés et voilà déjà 10 ans passés sur ce blog…

Merci surtout aux lecteurs de partager ma passion !

27 Août 2015
Jean-Luc Deuffic

« Jehan Gourdon escripvain demourant à Xaintes » : marché pour la confection d’un graduel (1472)

Le XXVe jour de apvril mil CCCCLXXII fist marché Jehan Gourdon escripvain demourant à Xaintes a noble homme René Chauderier escuier seigneur de Nyoil en la manière qui s’ensuit : C’est assavoir que le dit Gourdon doit faire et noter le noir d’un antiphonier ou responsier a l’usaige de Xaintes et rendre prest dedens de la saint Jehan prouchaine qui vient en ung an tout et en la fourme quil a fait au dit escuyer ung grallier (1) fors quil y aura en chacune paige dix ou onze lignes au choys du dit escuyer lequel escuyer doit fournir le parchemin. Et pour ce faire doit paier la somme de quarante livres au dit Gourdon et oultre par le dit marché doit le dit Gourdon toucher et rendre le dit livre relié bien et deuement. Et fut ce present marché fait presens Pierres Crosson Guillemin Bonfilz et aultres et signé de la main du dit Gourdon les jour et au dessus dis : J. GOURDON

(1) Graduel : voir Glossaire de la langue romane, et notice

Edition par Léopold Delisle, Instructions pour la rédaction d’un catalogue de manuscrits et pour la rédaction d’un inventaire des incunables conservés dans les bibliothèques publiques de France, Paris, Champion, 1911, p. 12-13.

Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Latin 11519: Postilles de Nicolas de Lire sur l’Ancien Testament. En ligne sur GALLICA


Cliquer sur la photo pour agrandir.

Repères
René Chauderier, fils de Jean Chaudrier et Jeanne de Coulaines, épousa Françoise Bonnenfant. Il décède en 1474.
Armes : d’argent à trois chaudrons de sable.
En 1439, il rend aveu de l’hôtel et seigneurie de Cirière et de l’hôtel de Noireterre (Archives départementales des Deux-Sèvres )
En 1441, Jean Jousseaume, seigneur de la Geffardière, son beau-frère, fut poursuivi au Parlement criminel pour graves excès commis sur lui (Paris, AN, X2a 22, aux dates des 28 et 30 mars, 12 et 20 juin 1441 ; Ier et 12 mars, 19 avril et 6 août 1442 ; X2a 23, fol. 53, au 24 juillet 1441). Actes royaux du Poitou (en ligne)
Sur les Chauderier, Chaudrier, alliés aux Ronsard, voir entre autres : Les armoiries d’un Ronsard dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale

21 Août 2015
Jean-Luc Deuffic

Guillaume Le Bret et Jehanne Paluel : des \ »ornemanistes\ » bretons révélés par un livre d’heures à l’usage de Saint-Malo (Rennes, BM, ms. 1510)?


© Bibliothèque Rennes Métropole. Nativité, f. 37, détail.

Plusieurs des livres d’heures possédés par la Bibliothèque Métropole de Rennes ont fait l’objet sur ce blog de notes diverses. 
Il en est un, malgré sa modeste allure (\ »lamentable\ », comme le précisait en 1992 le Prof. Eberhard König), qui nous a très récemment laissé sur une joie toute particulière. Nous y avons en effet relevé un élément inédit : sa décoration, du moins en partie, a été signée par un couple qui nous semble être les ornemanistes du manuscrit, ces artisans spécialisés dans l’exécution d’initiales filigranées, entre autres. Cette découverte a bien entendu été facilitée par la numérisation du manuscrit (BVMM/IRHT et Tablettes Rennaises).  


© Bibliothèque Rennes Métropole
Ci-dessus, f. 26, les noms de Guillaume Le Bret et de Jehanne Paluel reliés ensemble avec un \ »coeur\ ».

La pratique de ces signatures ne semble guère courante quand on sait que la grande majorité des enluminures médiévales reste anonyme. Peter Kidd, dont je salue ici le travail (voir son excellent blog Medieval Manuscripts Provenance), me signale par exemple le cas de Stephanus de Aquila étudié par François Avril, un copiste attaché probablement à la chancellerie pontificale, auquel on doit un livre d’heures (Escorial (h.iV.9) et dont le nom se retrouve dans un décor filigrané très élaboré du manuscrit Latin 4969 de la Bibliothèque nationale de France (1). Ici le copiste prend part à la décoration de son manuscrit. De même, François Avril a écrit quelques pages sur \ »Un enlumineur ornemaniste parisien de la première moitié du XIVe siècle : Jacobus Mathey (Jaquet Maci ?)\ » (Bulletin Monumental, t. 129, 1971, p. 249-264). Mais nous sommes là déjà en terrain plus luxueux!

Dans notre cas (bien plus modeste il est vrai), celui du livre d’heures à l’usage de Saint-Malo (Rennes, Bibliothèque Métropole, ms. 1510), Guillaume Le Bret et Jehanne Paluel ont laissé leurs noms sur plusieurs initiales filigranées, mais rien n’indique qu’ils sont, l’un ou l’autre, auteur de la copie du texte, ou même s’ils ont participé, de près ou de loin, à l’élaboration des enluminures et peintures du manuscrit.


© Bibliothèque Rennes Métropole
Au f. 70v le nom de Jehanne Paluel


© Bibliothèque Rennes Métropole
f. 74v, le nom de Guillaume Le Bret

Quoiqu’il en soit, une étude précise de ce livre d’heures pourrait nous faire peut-être connaître le travail respectif de chacun d’entre eux.
D’après un premier sondage, les patronymes PALUEL et LE BRET sont présents anciennement dans la région de Dinan / Saint-Malo, le premier attesté à Tréfumel dès les années 1520. Au reste, le village de Paluel se trouve sur la commune de Trigavou, dans l’arrondissement de Dinan

Le livre d’heures à l’usage de Saint-Malo présenté ici possède bien d’autres centres d’intérêt. Parmi ses possesseurs connus, les familles DE NOUAL (ou Denoual *) et ARTUR (qui s’en est servi comme livre de raison dans la seconde moitié du XVIe siècle).
Son calendrier procède de la liturgie malouine : l’inscription de Vincent Ferrier au 5 avril suggère une composition du manuscrit après 1455, date de la canonisation de l’un des apôtres de la Bretagne.
Vincent, martyr (22 janvier, en rouge, patron de la cathédrale de Saint-Malo); Gildas, abbé (29 janvier) ; Jean de Craticula (= Jean de la Grille,1er février, en rouge) ; Jacut, abbé (8 février, au jour précédent, une main ancienne a inscrit « ou prie ») ; Aubin (1er mars, en rouge) ; Guénolé, abbé (Guyngualoy, 3 mars) ; Vincent Ferrier, confesseur (5 avril, en rouge) ; Servais, évêque (13 mai, en rouge) ; Yves, confesseur (19 mai, en rouge) ; Paterne, évêque (21 mai) ; Donatien, martyr (24 mai) ; Gurval, évêque (6 juin) ; Méen, abbé (21 juin, en rouge) ; Aaron, confesseur (22 juin, en rouge) ; Lunaire, évêque (1er juillet, en rouge) ; Translation de saint Malo (11 juillet, en rouge) ; Turiau, évêque (13 juillet) ; Samson, évêque (28 juillet, en rouge) ; Guillaume, évêque (29 juillet, en rouge) ; Armel, abbé (16 août) ; Sulin, abbé (1er octobre) ; Melaine, évêque (11 octobre) ; Magloire, évêque (24 octobre) ; Translation de saint Yves (29 octobre, en rouge) ; Dédicace de l’église de Saint-Malo (30 octobre, en rouge) ; Gobrien, évêque (3 novembre) ; Malo, évêque (15 novembre, en rouge) ; Présentation de la Vierge (21 novembre, en rouge).
Et dans les litanies figurent les saints honorés particulièrement dans ce diocèse : Malo, Melaine, Samson, Magloire, Aaron, Tugdual, Brieuc, Paul, Corentin, Paterne, Méen, Sulin, Servais, Briac ? (« Briave »), Lunaire, Enogat, Jacut, Maudez.

 
© Bibliothèque Rennes Métropole
Fuite en Egypte. Le Prof. Eberhard König y a reconnu une influence flamande.

Pour lors nous n’avons pu identifier le commanditaire du livre d’heures, mais des armes effacées (hermines de sable, maison ducale de Bretagne ? un chevron de gueules…) sont encore visibles au f. 62, à la peinture représentant David en prière, dans une initiale, et en marge inférieure :


© Bibliothèque Rennes Métropole

Une autre particularité de ce manuscrit tient à la reliure. Eberhard König a relevé son \ »caractère plutôt flamand\ ». Effectivement, elle correspond à ces reliures sur ais de bois couverts de cuir estampé à froid utilisant des plaques produites en Flandre au XVe siècle. Un échange sur Twitter avec @BibMazarine et Peter Kidd m’a dirigé vers l’atelier de Lodewijk Bloc, Ludovicus Bloc (Brügge 1484- 1529) qui signait généralement ses travaux. Certains éléments semblent bien identiques :


Plaque de reliure du livre d’heures à l’usage de Saint-Malo (Rennes, BM, ms.1510)


Frottis d’une reliure de Ludovicus Bloc conservée à la Bibliothèque Saint-Geneviève (MS2708)

En 1992, lors d’une exposition à Rennes, le Eberhard König (2) avançait l’idée que ce livre d’heures, inachevé, avait pu être \ »transporté en Flandre … pour rentrer en Bretagne après\ ». Pour notre part nous pensons que ce manuscrit n’a jamais quitté la Bretagne. Saint-Malo, port breton de premier plan, était en contacts permanents avec le pays flamand. Les relations de la Bretagne avec la Flandre avaient commencé dès le XIIIe siècle. Elles se développèrent au XVe siècle, grâce à l’alliance de François II avec Charles-le-Téméraire. Les Bretons fréquentaient surtout les grandes foires de Bergues, Bruges et Anvers. Un des propriétaires du manuscrit, de la famille des armateurs et corsaires ARTUR, commerçait encore avec ce dernier port au milieu du XVIe s. (3) 
Certainement, des plaques de reliures devaient circuler entre les deux pays, comme cela devait être le cas pour des modèles de peintures religieuses, des patrons de vitraux ou des fontes typographiques. D’autre part, il ne faut pas oublier l’importance des artisans itinérants qui travaillèrent dans bien des domaines de l’art en Bretagne. D’un autre côté nos Bretons se sont aussi expatriés (tel le fameux Jean Brito, prototypographe, de Pipriac, installé à Bruges).

Coté décoration, le livre d’heures de la Bibliothèque de Rennes Métropole reste assez décevant. De nombreuses peintures ont été extraites et celles qui restent ont été retouchées par un \ »enlumineur\ » du XIXe s (peut-être par Casimir Beslay des Fougerays, un ancien possesseur) qui a même été jusqu’à y ajouter une \ »Visitation\ » de son cru. E. König a relevé l’influence nettement flamande de la Fuite en Egypte.

Pour clore cette note sur le livre d’heures de Saint-Malo de la Bibliothèque de Rennes Métropole, soulignons un parallèle avec celui de la Bibliothèque Municipale de Saint-Brieuc (ms. 4). Tous deux contiennent une liste de \ »frairies\ » de la cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo auxquelles appartenaient leurs possesseurs, ainsi :
Manuscrit Rennes, BM, 1510 :
(vers 1580 ?)
Ensuist les frayries dont est /
—— et sa femme /
Et premier
Du st Esprit
De Nostre Dame
De st Jehan (4) 
De St Jacques
De st Malou
De St Sabastien
De Ste Barbe
De st Guillaume
De st Nicolas de [Tolentin]
De st Cosme et Damien
(d’une autre écriture) du St Sacrement
Manuscrit Saint-Brieuc, BM, 4 :
(vers 1530)
Cy ensuilt les frairies (?) doncq je suy fondés en lesglisse catedral de st Mallo Et premyer
Du Sainct Esperit
De Nostre Dame
De Sainct Jehan 
De Sainct Mallo
De Sainct Sabastien
De Sainct Nycollas de Tolent..
De Sainct Nycollas de Bari
De Saincte Barbe
De Sainct Eloy
de Saint Anthouenne (d’une main plus récente)

Le manuscrit de Saint-Brieuc s’est trouvé entre les mains d’un membre de la famille malouine des Porée, alliée aux ARTUR, d’où sans doute la présence de ces listes de confréries consignées dans les deux livres d’heures.

Notes

(*) Les Heures à l’usage de Gand ou Bruges du couple malouin Jean de Noual (ou Denoual, autre \ »lignée\ »de cette famille) et Jeanne Mayngart, composées en 1499, sont passées en vente publique il y a quelques années. Ci-dessous les armes des Denoual (D’azur à deux merlettes d’argent posées en fasce, accompagnées en chef de trois étoiles d’or et en pointe d’un croissant de même) sur une écuelle (détail. Gabrielle Bidart, veuve d’orfèvre de Rennes, 1767, argent, l. 32,5 cm, coll. part. C.B.) (= source)

(1) François Avril, \ »Stephanus de Aquila\ », dans Illuminare l’Abruzzo. Codici miniati tra Medioevo e Rinascimento, a cura di G. Curzi, F. Manzari, F. Tentarelli, A. Tomei, Pescara, Carsa Edizioni, 2012, p. 51-57.
(2) Eberhard König, dans Manuscrits à peintures (XIIIe -XVe siècles). Catalogue de l’exposition de Rennes, 18 septembre-18 octobre 1992, p. 46-47, n° 10.
(3) Voir par exemple Jean Kerhervé, \ »Bretagne et Flandres. Les échanges du XIVe au XVIe siècle\ », dans Ar Men, n° 22, 1989, p. 17-35.
(4) Saint-Jean-Baptiste, dite des Frères Blancs, fondée en 1240 par Geoffroy, évêque de Saint-Malo.

======
PS. Ce manuscrit fera l’objet d’une notice importante dans notre prochain ouvrage, prévu en 2016, où seront décrits près de quatre cent livres d’heures :
« Car sans heures ne puys Dieu prier … »
Le livre d’heures enluminé en Bretagne
The Illuminated Book of Hours in Brittany

======
Je remercie Claudia Rabel (IRHT) pour ces précieux conseils… et Sarah Toulouse (Bibliothèque de Rennes Métropole) pour son amabilité à répondre à mes messages!

Rennes_1510_f_95_det.jpg
© Bibliothèque Rennes Métropole. f. 95, détaiL

Pages :«1...20212223242526...180»