26 Août 2010
Jean-Luc Deuffic

Pierpont Morgan Library 129 et 176, British Library Stowe 25, etc : Nicolas Le Camus, notaire et bibliophile, admirateur de Ronsard …

Un patronyme pourtant bien ordinaire … que ce LE CAMUS …
La consultation du catalogue CORSAIR de la Pierpont Morgan Library (une des légendaires \ »malles au trésor\ » de New-York) m’a révélé le nom de NICOLAS LE CAMUS (*) sur deux manuscrits qu’elle conserve : les 129 et 176, un Livre d’heures et un psautier.

Le premier, un Livre d’heures à l’usage de Rouen, porte encore sur sa reliure ancienne le nom de IEHANNE | FORTIN qui fut sa seconde (ou 3eme) femme. A l’intérieur, une note datée de 1578 : \ »Appo[r]téées de prouins (1) et a moy baillées par la veufe* de bondis\ », et une marque d’appartenance \ »Heures de n[ot]re Dame. Marguerite Lecamus // espouse de Mr Leonor de st leu notaire au ch(ate]let (2).

[ Voir description sur le site de la Pierpont Morgan Library ]

Le second (176) est un psautier de la fin du XIVe siècle, mesurant 180 x 120 mm. La reliure – comme celle du premier manuscrit –  date du XVIe s. ; on y remarque les initiales de Nicolas Le Camus, notaire : \ »N.L.C.N\ ».
A l’intérieur, une inscription : \ »A moy scripteur de l’uniuersite et not[aire] en cha[te]llet Lecamus, 1562\ ». Le nom de \ »Elizabeth Lecamus\ » s’y trouve aussi. 

[ Voir description sur le site de la Pierpont Morgan Library ]

Un autre Livre d’heures ayant appartenu à Nicolas Le Camus se trouve actuellement à la British Library, Stowe 25, Livre d’heures dont la décoration est attribuée au cercle du \ »Maître de Coëtivy\ ».
Parmi les diffèrentes inscriptions :
\ »A moy Lecamus noter. .1592. .27. figures. 221 feuilles escripts\ »
\ »Apres le deces de feue madame et mere / que dieu absollet. qui fut en juillet .1595. // Ce livre me fut doné par mr et pere affin de prier dieu po(ur) tous deux. // Catherine LeCamus\ »


\ »Ce livre a este donne par. Lecamus noter a Catherine Lecamus fille de luy et de feux Jehanne Fortin deceddee le xe. juillet .1595. / que dieu absolue affin de y prier dieu po(ur) tous deux. C. Lecamus’ (f. 224), and
\ »A Catherine Lecamus sa fille 1595\ » 
La reliure ancienne porte le nom de Nicolas Lecamus.
Catherine Le Camus épousa le notaire Gilles LE SEMELIER qui exerça à Paris, entre 1604 et 1625, rue aux Ours, dans la paroisse Saint-Leu-Saint-Gilles (ETANOT). Elle mourut avant 1611, date du remariage de Gilles Le Semelier avec Madeleine Sauvage (+ 1628), ce dernier épousant avant 1638 Marguerite Morice, mère de Martine (15 ans), Charles l’aîné (12 ans), Charles le jeune (9 ans) [ acte en ligne ]

[ Images et description sur le site de la British Library ]

Pour poursuivre avec les Livres d’heures de Nicolas Le Camus signalons celui de la Bibliothèque du Musée Condé à Chantilly, manuscrit 81. Il porte la date de 1576, époque de la reliure où Nicolas Le Camus fit mettre son nom, et à l’intérieur les armes d’un premier possesseur non identifié : d’or à la croix échiquetée d’argent et d’azur, cantonnée de quatre lions de sable armés de gueules. Au feuillet de garde on peut lire l’inscription suivante : « A Madeleine Le Camus, maintenant épouse de messire Henry Duport, procureur au Châtelet » ; puis une autre, postérieure : « Ce livre appartient à Antoine-Philbert Chibert, mon petit-nepveu et filleul, à quy je le donne et le prie de le garder en mémoire de moy. Anne de Sainct-Leu ». Issu de l’ancienne Collection Cigonge, n° 54 [ En ligne ]. Voir : J. Meurgey, Les principaux manuscrits à peintures du Musée Condé à Chantilly, 1930, p. 152-154 et pl. CIV.

[ Description sur le catalogue en ligne de la Bibliothèque du musée Condé de Chantilly ]

Autres Heures possédées par Nicolas Le Camus : Paris, BnF Lat. 17965, fragment  de 34 f. portant la mention \ »Lecamus notaire 1599\ », et cette inscvription : \ »moy soubzsigné notaire ou chastellet, garde du petit scel du pallais et scripteur de l’université. Le Camus 1597\ ». Sur la reliure deux médaillons formés par des rameaux de feuillages au milieu desquels on lit d’un côté \ »NICOLAS\ » et de l’autre \ »LE CAMUS\ ». Voir Monuments et Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, année 1946.

Dans ce contexte on lira avec beaucoup d’intérêt la notice que François Avril consacre aux Heures de Jean Lallemant l’Ainé (+ 1533) dans Les manuscrits à peintures, p. 312-313. Ce manuscrit, illustré en autres par le célèbre Jean Poyet, possédé par Nicolas Le Camus, est aujourd’hui dispersé entre plusieurs bibliothèques :
– Londres, British Library Add. 39641 (41 f)
– Baltimore, Walters Art Gallery, w 459 (33 f.). Voir Lilian M.C. Randall, Medieval and renaissance Manuscripts in the Walters Art Gallery, volume II, part 2, n° 206, p. 501-509.
– Quatre miniatures figuraient sous forme de feuillets séparés à la vente Firmin-Didot de 1884
– Cambridge, Fitzwilliam Museum, Marlay Cutting, Fr. 7 : une miniature
– Une miniature à la vente Bonaventure, du 9 mai 1936 (lot 376) à New York, American Art Association

Enfin pour terminer (mais je suppose qu’il en existe d’autres …) une \ »Note de Mme Olga Rojdestvenskaïa sur des manuscrits à peintures de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg\ », publiée dans les Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 69, 1925, p. 186, fait état d’un imprimé de Vérard portant en ex libris la \ »signature de Lecamus, notaire, demeurant rue Saint-Séverin, à Paris, en 1591, qui le donna à sa femme Jeanne Fortin; il appartenait encore à une demoiselle Lecamus en juillet 1790\ ». Je n’ai pu encore consulter l’année 1946 des Monuments et Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui font mention d’autres manuscrits de Nicolas Le Camus …

Toute l’activité notariale de Nicolas Le Camus se trouve aux Archives Nationales, à Paris, et la base de données ETANOT nous en décrit les grandes lignes, avec des informations biographiques sur notre bibliophile :

Dates d’exercice : du 9 décembre 1553 au 28 décembre 1608.

1) marié en premières noces à Anne d’Espoigny (3) (voir ET/XXIII/179, 4 avril 1569, inventaire après décès d’Anne d’Espoigny, épouse de Nicolas Le Camus)

2) marié en secondes noces à Marie Le Roy (voir ET/VIII/578, folio 76, 25 janvier 1611, contrat de mariage de Gilles Le Semellier, notaire, et Madeleine Sauvage, en présence de Marie Le Roy, veuve de Nicolas Le Camus et belle-mère du futur époux, à cause de Catherine Le Camus, femme défunte dudit futur époux)

3) marié en troisièmes noces à Jeanne Fortin (voir ET/CXXII/1596 folio 24, 19 décembre 1618, échange de la moitié d’une maison entre Jeanne Le Camus et Louis Duport son mari, d’une part, et Paul Chenevix, d’autre part, cette partie de maison provenant de l’héritage de défunts Nicolas Le Camus et Jeanne Fortin, sa femme)

Ses manuscrits et quelques textes nous apprennent que Nicolas Le Camus obtint le 21 septembre 1572 son office de \ »garde du scel\ » par \ »Monsieur de Thou maistre des Requestes\ » (Jacques Auguste de Thou, le bibliophile bien connu : voir le Blog du bibliophile). 


Un admirateur de Ronsard

Nicolas Le Camus fut un fervent admirateur de Ronsard. C’est ainsi qu’en 1580 il fit imprimer à ses frais :
Les figures et portraicts des Sept Aages de l’homme, avec les subjects par quatrains de feu Mons. de Ronssart, au pied de chacun d’iceulx. Taillez et gravez sur les principaulx inluminez de feu M. Baptiste Pellerin.— Paris, 1595. Pour N. L. C. N.
In-fol. oblong. La dernère estampe porte : \ »Parachevez de taillez et graver en décembre 1580. Pour Nicolas le Camus, notaire\ ».
Une autre édition sortit en 1609 des presses de l’imprimeur parisien Jean Leclerc.
(Exemplaire à Paris, BnF Z 3349)
L’inventaire après-décès de sa première épouse, Anne d’Espoigny (Paris, AN ET/XXIII/179), dressé le 4 avril 1569 énumère une liste de tableaux (de Jean Cousin, par ex.) naguère relevée par G. Wildenstein, \ »La collection de tableaux d’un admirateur de Ronsard\ », dans Gazette des beaux-arts, janvier 1958, p. 5-8. [ étude non vue ]
Au reste on doit à Nicolas Rapin (1535-1608) [ lien Wikipedia ] une \ »Autre Elégie à M. Le Camus Parisien\ », publiée dans Les Plaisirs du Gentilhomme champestre, Paris, Lucas Breyer, 1581, f. 25r-28v [ En ligne ], qui se termine :
 
Mais afin de te faire auoir en ton estude
Comme un doux souvenir de l’amour fraternel
Qui est entre nous deux beaucoup plus eternel
Et plus digne cent fois que ma musique rude.

NOTES

(*) A ne pas confondre avec un homonyme, conseiller au Grand Conseil, procureur général de la Cour des aides de Paris, conseiller d’État en 1632.

(1) Cette allusion à Provins peut être significative. François Pesloe, \ »notaire et secrétaire du roi, bailly de son artillerie, et élu de Provins\ » était inhumé aux Célestins de Paris. Milin, dans ses Antiquités Nationales, y a relevé cette inscription : \ » … a été apposé à la mémoire du defunt, en septembre 1577, par Nicolas Camus, son cousin, notaire du roi au Châtelet, garde du scel au baillage du palais, et naguère scripteur de l’université\ ». Le Livre d’heures de la Pierpont Morgan Library émane peut-être de la succession du notaire de Provins. Olivier de Magny, dans une de ses Odes s’adresse \ »A François Pesloe, sur la mort d’une sienne soeur\ ». Voir Olivier de Magny. Les trois premiers livres des Odes de 1559, éd. F. Rouget, Droz, 1995. Sa \ »bibliothèque\ » ( 17 titres) est inventoriée dans Paris, AN ET LIV, l. 86, en date du 2 janvier 1576 (Maison de la rue des Poulies). Voir Hélène Michaud, \ »Les bibliothèques des secrétaires du roi au XVIe siècle\ », dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 126, 1968, p. 333-376.

(2) Marguerite mourut avant 1627, année d’un bail fait par Léonor de Saint-Leu, \ »agissant comme tuteur des enfants qu’il a eu de défunte Marguerite Le Camus\ ». Le notaire du Châtelet Leonor de Saint-Leu (voir pour son étude, ETANOT), porte un prénom qui tire son origine du saint breton Lunaire, dont les reliques furent déposées à Beaumont-sur-Oise à l’époque des invasions normandes en Bretagne, vers le début du Xe s. Fils de Noël de Saint-leu, Il possédait le fief de La Neuville, sis à Beaumont (Archives Départementales Oise, A 1438 et 1439). En 1529, Jean de Saint-Leu, devenu lieutenant particulier du bailli de Beaumont, résigna son office de notaire au profit de Nicolas son fils. Compte-tenu des dates, il ne peut s’agir ici de notre Nicolas bibliophile.

(3) Peut-être apparenté à Gilles d’Espoigny, notaire au Châtelet vers 1550, époux de Marie Dain.

Crédit image :
Pierpont Morgan Library
British Library
Paris, Bibliothèque nationale de France

21 Août 2010
Jean-Luc Deuffic

Les Heures de Gilles de La Helandière et de Gabrielle de Beauvais : New York Public Library MA 42


(c) New York, Public Library MA 042, f. 23

Toujours à la recherche de manuscrits issus de Bretagne, Digital Scriptorium, la base bien connue, vient de nous livrer un nouveau Livre d’heures ayant appartenu à un couple de Bretons : Gilles de La Helandière et Gabrielle de Beauvais, actuellement conservé à la Public Library de New York (MA 042)

Le Nobiliaire de P. de Courcy fait effectivement mention d’une famille de ce nom, seigneur dudit lieu et de Maltouche, paroisse de Tremblay ; de Beauvais, paroisse de Servon, déboutée à la Réformation de 1671 (Ressort de Rennes) et portant pour armes : D’argent à la bande de gueules chargée de 3 fleurs de lys d’or (Nobiliaire de Bretagne, II, p. 19).

Sur ce couple je n’ai retrouvé que l’information précieuse donnée par les Archives d’Ille-et-Vilaine (9 G 46; 1 H 5) et transmise par le Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, de l’abbé Guillotin de Corson : le 12 janvier 1647, Gabrielle de Beauvais, veuve de Gilles de la Hellandière, sieur de Saint-Denis, fonda trois messes en l’église de Servon et donna les terres de la Grande et de la Petite-Bretonnière, valant 60 livres de rente, au chapelain chargé de les desservir ; celui-ci devait, en outre, fournir le pain bénit le jour des Rois.
L’abbé Paul Paris-Jallobert, dans ses Anciens registres paroissiaux de Bretagne (pour \ »Servon\ », Rennes, 1895, p. 8-9) fait aussi mention du couple , et cite deux enfants : Renaud, né le 11 novembre 1601, et Charles, né le 27 avril 1603, nommé en 1631 \ »sieur de la chapelle\ ». Renaud, sieur de Beauvais, fut sénéchal du Gué, et se maria, à Landravan, le 26 novembre 1624 (?) à Marie Nicole, dame de la Chochonnais, meurt le 4 février 1670.
De la famille de Beauvais était issu Noble homme écuyer Amaury, sieur de la Rivière, Villalée, la Chesnay, le Fail, la Saigerfe, la Chaisne, attesté à la fin du XVIe s. Gabrielle de Beauvais avait \ »nommée\ » le 2 juillet 1629 une Gabrielle, fille de Jacques de Montalambert et de Fraçoise de La Hellandière (Paris-Jallobert, \ »Québriac\ », Rennes, 1891, p. 9

Le moulin à papier de la Helandière (en Tremblay), sur la rive gauche de la Loisance, dont l’activité est attestée depuis 1655 à l’époque de René de La Helandière, a été étudié par Jacques Duval, dans ses Moulins à papiers de Bretagne, L’Harmattan, 2005, p. 135sq.

On trouvera sur le site Digital Scriptorium une description et quelques images du Livre d’heures donné comme étant à l’usage de Coutances (??).
La reliure y est datée de 1550 et porte les noms des deux époux : \ »E (pour écuyer?) : Gilles de la Helandiere\ » et D : Gabrielle de Beauvais\ ». Provenance : Catalogue Robert L. Stuart, New York 1884, p. 74.
Sur la feuille de garde  : \ »Ces Heures Manuscrites sont très curieuses; elles contiennent 1072 lettres majuscules en or, sur lesquelles il y a 173 lettres enluminées. Ce grand nombre de lettres rend très précieuse et très cher ce manuscrit\ ».
En 1873, le manuscrit est inscrit au Catalogue de livres anciens et modernes, rares et curieux de la Librairie Auguste Fontaine (n° 8788) :
Livre d’heures manuscrit du quinzième siècle, de 149 feuillets, orné de cinq grandes miniatures avec enluminures, neuf pages enluminées, avec de grandes lettres, et de nombreuses lettres avec fleurs et or bruni, sur les marges. Ce manuscrit, d’une écriture fort belle et régulière, est précédé d’un calendrier dont quelques saints et saintes sont particuliers aux provinces de Normandie et de Touraine. C’est un manuscrit de famille, qui a appartenu à Gilles de la Helandière, et à Gabrielle de Beauvais, son épouse, au commencement du dix septième siècle. Les miniatures représentent la sainte Vierge et sainte Anne, — le roi David à genoux devant Dieu le Père, qui lui apparaît, — le Christ en croix, — le Don des langues, — et un Prince frappé par la mort. Ce dernier sujet ne se trouve guère dans les manuscrits.
Le premier feuillet après le calendrier a été enlevé. A la fin du livre se trouvent douze feuillets d’un autre manuscrit, comprenant un calendrier et des prières, d’une écriture plus fine, à deux colonnes. En tête de chaque page du calendrier on remarque des légendes se rapportant aux travaux du mois : en janvier, poto, je bois; en février, ligna cremo, je brûle mon bois; en mars, de vite superflua demo, je taille la vigne; en avril, gramen gralum, agréable gazon ; en mai, mihi flos servit, la fleur m’est utile ; en juin, mihi pratum, je tiens mon pré; en juillet, fenum declino, je recueille le foin ; en août, messes meto, je coupe les moissons ; en septembre, vina propino, je bois le vin; en octobre, semen immi jacio, j’ensemence la terre; en novembre, mihi pasco sues, je fais paitre les porcs ; en décembre, mihi macto, je les tue.

Illustration : Visitation. (c) New York, Public Library MA 042, f. 23

19 Août 2010
Jean-Luc Deuffic

Techniques d’enluminure au Moyen Âge, d’après le manuscrit du greffier Jean Le Bègue


… Autre Recepte pour faire encre

Prenes ung quarteron de noiz de galle de iiij deniers parisis et faites batre en pouldre, puis la metez en quatre et demie diaue et la faites boulir une heure et demie ou plus a beau feu de charbon et jusques atant que leaue soit revenue a la quarte ; et puis quant elle aura ainsi bouli, y mettez un quarteron de gomme de iiij deniers et plain gobelet de vin aigre ; et puis le faites boulir une autre heure et puis quant elle aura boulu, la descendez et y metez un quarteron coperose en pouldre de iij deniers parisis, et le laissiez refroidier puis metez en un cellier. Et se elle est trop clere blanche si y metez encore un pou de coperose et vous aurez bon encre.

Pour escrire ou paindre d’or
Mettez argent vif avecques or molu en pouldre en cuir de cerfs, et le espraignez si passera largent vif par le cuir et lor demourra ou cuir, puis mettez lor avecques largent vif sur le feu maiz gardez bien que le crosel narde. Et mettez avecques un pou de sel bien moulu et crible tant que le vif argent se parte par fumée, lequel vous pouez recevoir en une escuelle ointe de graisse pendue au hault au dessus puis lavez la pouldre dor en un bacin en yaue, comme vous feriez mine. Puis mettez la pouldre dor quant elle est sèche en glus laite de parchemin orculin [ou velin] lequel mis en vaissel sur eaue chaude est tantost résolu et quant tout sera résolu moelez bien et mettez en vostre plume ou pincel et escrisiez ou paindez dicellui or trempe.

Pour enluminer de mine, soit livre ou autre chose
Ne mettez pas mine par soi, car la lettre en seroit trop clere et mal parant, mais mettez mine avecques vermillon, et se le vermillon est bien rouge et novel si en mettez deux parties et le tiers de mine. Et sil est viel et obscur ou brun mettez de mine la moitié ou les deux pars, car plus est vermillon viel et plus est noir et obscur, et quant il sera mouluz ensamble a leaue clere et sec par monseaux se vous voulez eu ouvrer et quil soit luisant trempez le de vernix et de glaire dœufs rompue a lespurge, et y mettez pou deaue clere et de ce escrisiez en parchemin grosse lettre et menue et quant il est sech, sil nest bien luisant, et que le temps soit moite, séchez le au feu, si resplendira ; et se le tempe et sech et chaut elle serait mieulx sechee au soleil.

Pour escrire de laton et pareillement dor et dargent
Limez très subtilement laton de très pure couleur et puis le molez soutiliment sur le porphire qui est pierre très seure, puis le mettez et un net vaisel et le laissiez asseoir, puis ostez leaue et ayez vostre détrempe de gomme arabiche, et len destrempez puis en ouvrez de vostre pincel, et quant ce sera fait et sech, si le frotez et burnissez très bien, d’une pierre qui est nommée ametiste et ainsi povez vous escrire dor et dargent.

[ A suivre … ]

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat. 6741, (1441)
Édition : M. Merrifield, Original Treatises on the Arts of Painting Dating from the XIIth to the XVIIIth Centuries, London, 1849.
Biblio : ARLIMA.
 

Orpiment se fait ainsi
Prenez oille et encre et jus despine noire et son escorce moienne bien broyée en un mortier et mettez tout ensemble, en un pot, et li laissiez une nuit reposer, puis le metez un poi boulir, puis le colez, puis le metez boulir un pou avec mirre et aloes et derechief le coulez. Puis metez avec un po de verjus ou de glace, et remetez tout ensemble sur les charbons sans flamme un petit bolir, puis le ostez et le gardez.

A faire couleur blauet comme d’azur
Prenez jus de bleues net et faite en bois ou en parchemin un camp de blanc de plomb, puis mettez le jus dessus le dit champ, trois ou quatre ou cinq lis ou plus si mestier est ; si avez couleur dazur.

Pour peindre murs
Mettez un po de chaux avec ocre pour avoir plus grant clarté, ou vous la mêliez avec rouge simple ou avec prasin ou avec une couleur qui est nommée posce qui est faite de ocre vert et de membrayne ou vous pouvez prandre dune couleur qui soit faite de synople et docre et de chaux et de pose etc. ; et doivent estre murs paint plus moiste que aultre chose pour ce que les couleurs se tiennent mieulx ensembles et soient plus fermes. Et doivent toutes couleurs pour murs estre melles avecques chaux vive.

Noir est fait de charbon broyé avec eaue ou vin et destrempez doile ou deil, mais le bon est fait darrement, etc. Se ce nest carbon qui est fait de paille de fer boulu et cuie avec oille. Ou vous prenez escorce daine et le broiez en eue avec molure de ferre en yaue, et mettez avec arcement et destrempez.

Charnure dymages se fait ainsi
Prenez vert terrin blanc et laque, et mellez ensemble et emplissiez la ou vous vouldrez, puis faictes ombre de vert et ocre en telle manière que ce soit comme vert et mellez avecques un po de laque, et signez vos lits, et puis ombre et puis rose de blanc et de synople, et roses la ou vous plaira, puis faites charnure docre et de blanc et dun po de cinople et mettez dedans les signemens espes et cil qui sera sur la rose sera très sutil, puis prenez de celle couleurs et mettez sur les surcils et dessoubs les piez et sur la bouche et au menton et a la goile et aux oreilles. Et en faut si comme se fust vains, puis désignez de pur lac les cilles et narines et les yeulx et tous les membres. Et metez de rechief dedens umbre legierement et de lac loignez un petit, puis le blanchissez de blanc pur, puis désignez les cilles et les yeulz et les autres membres.

Pour mettre or de feuilles battues
Molez gipse très bien avec yaue pure et nette, puis le séchiez, puis le molez avec cinope si comme rose, et avec cole de poisson qui soit fondue avec très bon vin blanc et le mettez au pincel la ou vous vouldrez et soit bien couvert et le séchiez puis le raez dun coustel plainement et mettez lor dessus et le fermez de ametiste, et le lissez. Et se il ne vient bien prenez de la cole dessus dicte et metez au dessein, et tantost la feuille de lor dessus.

Si vous voulez appareiller oile pour destremper toutes manières de couleurs
Prenes chaux vive avec autant de cerase comme est de loile, puiz metez au soleil et ne le movez jusques a ung moyt ou plus tar quant plus y sera, et mieulx vaudra, puis le colez et gardez très bien loile, et de celle oille gardée et ainsi préparée povez destremper toutes couleurs ensemble et chacun par soy.

Pour escrire dor et dargent
Pren feuille dor et la broyé sur le marbre avec sel, puis le fay estre longuement en eaue, et le levé et laisse rasseoir puis prenez leaue pour oster * le sel, si demourra lor au fons. Si le destrempe a gomme et en escri, si auras lettre noire et quant elle sera sèche, si la poli dun dent, si sera belle et gaune et luisant en bonne cou¬leur dor, et ainsi puez tu escrire de argent se tu veulz.

Pour faire lettre dargent tans argent
Broyez alun avec sel, puis le levé pour oster le sel puis le destrempe a gomme et escri et quant il est sec, si le poli du dent, si perdra sa novete et ara couleur d’argent.

Pour or mouler recipe
R. très fin or lime bien menu et le broyez en un mortier suzille tel que les appoticaires ont, cilz de cuivre les trois pars et la quarte partie de staing ou de plomb, tels sont leurs mortiers ; mais avant ce doit estre votre limeure d’or bien lavée en un bachin ou en une conche de limeterie a un pincel et en ce mortier dessus dit, molez tant or que bave qui y sera mise soit au départir clere. Et en telle manière pourrez molez cuivre argent loton estaing et tout autre metail, mais gardez que lor ne se haerde car il le faul-droit remouldre de rechief. Et quant ce sera fait, estez liaue et les ordures et laissiez lautre rasseoir, puis le metez sur les charbons avec eaue et le chauffez et mouvez.

16 Août 2010
Jean-Luc Deuffic

Le livre manuscrit dans le Midi de la France


La production et la circulation des manuscrits juridiques enluminés dans le Midi de la France au XIVe siècle
a fait l’objet d’un projet de recherche postdoctorale, par Maria-Alessandra Bilotta : [ Lien ]

A voir également :

§ M.-A. Bilotta, « Les transferts artistiques dans le contexte de la production et de la circulation des manuscrits juridiques enluminés entre le Midi de la France, l’Italie et la Catalogne (XIIIe et XIVe siècles) » : http://www.inha.fr/spip.php?article3411

§ M.-A. Bilotta, « Images dans les marges des manuscrits toulousains de la première moitié du XIVe siècle : un monde imaginé entre invention et réalité ». dans les Mélanges de l’École française de Rome. Section Moyen Âge, 121/2, 2009, p. 349-359 :
 
§ M.-A. Bilotta, « Un manuscrit de droit canonique toulousain reconstitué : le Décret de Gratien », dans Art de l’enluminure, 24, 2008 [ Lien ] :

De nombreux grands manuscrits ont été la proie de marchands qui les ont dépecés en feuillets séparés pour offrir aux amateurs la possibilité d’acquérir de belles miniatures isolées. Les recherches de divers historiens d’art ont permis d’identifier un ensemble de folios provenant tous d’un même remarquable manuscrit juridique du XIVe siècle, composé et décoré à Toulouse, qui comportait des illustrations originales de haute qualité.

§ M.-A. Bilotta, « Arnaldo di Villanova e Avignone: decorazione e localizzazione del codice 40.E.3 della Biblioteca dell’Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana », dans La vie culturelle, intellectuelle et scientifique à la Cour des Papes d’Avignon, éd. par J. HAMESSE, Louvain–La–Neuve 2006 (Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales, Textes et études du Moyen Âge, 28), p. 49–64.

Enfin, dans la revue ALUMINA, n° 27 [ Lien ] (manuscrits enluminés de la Bibliothèque de Toulouse) et 29 [ Lien ] (enlumineur du manuscrit toulousain du Décret de Gratien)

Dans ce contexte signalons l’ouvrage à venir aux éditions Méridiennes  : 
Le Livre dans la région toulousaine et ailleurs au Moyen Âge, édité par Sophie Cassagnes-Brouquet et Michelle Fournié, dont voici le sommaire :

Sophie Cassagnes-Brouquet,
Le livre dans la région toulousaine et ailleurs … au Moyen Âge, 7
Les métiers du livre à Toulouse
Sophie Cassagnes-Brouquet,
Le métier de parcheminier à Toulouse à la fin du Moyen Âge, 13
Véronique Lamazou-Duplan, Laetitia Soula, Artisans et métiers du livre à Toulouse aux XIVe et XVe siècles : échos des registres de notaires, 33
Éclairages sur quelques manuscrits toulousains
Hiromi Haruna-Czaplicki,
Note sur le ms. 1252 de la Bibliothèque municipale de Toulouse : un sacramentaire d’Albi réalisé au tournant du XIIIe et du XIVe siècle et son décor à filigranes à l’encre, 59
Maria Àlessandra Bilotta,
Nouvelles considérations sur un manuscrit toulousain du Décret de Gratien reconstitué, 73
Claudia Rabel,
Sous le manteau de la Vierge : le missel des Carmes de Toulouse (vers 1390- 1400), 85
Les auteurs et leurs lecteurs
Clémentine Stunault,
La Vierge dans la poésie des troubadours 109
Cyril Daydé,
Un unicum méconnu : la Repetitio de inquîsitione hereîicorum de Nicolas Bertrand, (Toulouse, 1512) 121
Emmanuelle Pujeau,
Enjeux autour du latin dans l’Italie du seizième siècle, 135
Bibliothèques, bibliophiles et collectionneurs
Emilie Nadal,
Une recherche en cours : les commanditaires ecclésiastiques de manuscrits enluminés dans le Midi de la France au XIVe siècle, 153
Patrice Foissac,
Les bibliothèques des collèges universitaires de Cahors et Toulouse (XIV-XVe siècles), 169
Emilie Goujaud,
Les bibliothèques perpignanaises à la fin du Moyen Âge : approche sociale du lecteur roussillonnais, 183
Matthieu Desachy,
Bibliophiles d’oncle à neveu : livres et bibliothèques de Jean et Hélion Jouffroy (vers 1460-1530), 201