Mots de bibliophile … : Richard de Bury (1287-1345)
\ »Nous pensons qu’il est avantageux d’entretenir les étudiants sur les diverses négligences qu’ils pourraient toujours facilement éviter, et qui nuisent considérablement aux livres. D’abord qu’ils mettent une sage mesure, en ouvrant ou en fermant les livres, afin que la lecture terminée, ils ne les rompent pas par une précipitation inconsidérée, et qu’ils ne les quittent point avant de remettre le fermoir qui leur est dû. Car il convient de conserver avec plus de soin un livre qu’un soulier.
Vous verrez peut-être un jeune écervelé, flânant nonchalamment à l’étude, et tandis qu’il est transi par le froid de l’hiver, et que comprimé par la gelée son nez humide dégoutte, ne pas daigner s’essuyer avec son mouchoir avant d’avoir humecté de sa morve honteuse le livre qui est au-dessous de lui… Il a un ongle de géant, parfumé d’une odeur puante, avec lequel il marque l’endroit d’un plaisant passage. Il distribue, à différentes places, une quantité considérable de fétus avec les bouts en vue, de manière à ce que la paille lui rappelle ce que sa mémoire ne peut retenir. Ces fétus de paille que personne ne retire, font sortir d’abord le livre de ses joints habituels, et ensuite, finissent par se pourrir. Il n’est pas honteux de manger du fruit et du fromage sur son livre ouvert et de promener mollement son verre tantôt sur une page tantôt sur une autre.
Il y a aussi des jeunes gens impudents auxquels on devrait défendre spécialement de toucher aux livres, et qui, lorsqu’ils ont appris à faire des lettres ornées, commencent vite à devenir les glossateurs des magnifiques volumes que l’on veut bien leur communiquer, et où se voyait autrefois une grande marge autour du texte on aperçoit un monstrueux alphabet ou tout autre frivolité qui se présente à leur imagination et que leur pinceau cynique a la hardiesse de reproduire… Et c’est ainsi que nous voyons très fréquemment les plus beaux manuscrits perdre de leur valeur et de leur utilité.
Que désormais les laïcs, qui regardent indifféremment un livre renversé comme s’il était ouvert par eux dans son sens naturel, soient complètement indignes de tout commerce avec les livres. Que le clerc couvert de cendres, tout puant de son pot au feu, ait soin de ne pas toucher, sans s’être lavé, aux feuillets des livres; mais que celui qui vit sans tache ait la garde des livres précieux.\ »
Richard de Bury, Philobiblon. Tractatus pulcherrimus de amore librorum, rédigé vers 1343-1345, éd. et trad. Hippolyte Cocheris, 1856.
Evrart de Trémagon et Le songe du vergier …
Laurent Brun, directeur du projet ARLIMA, me signalant la vente sur ebay d’un « morceau » de manuscrit du Songe du Vergier, je me propose d’écrire quelques lignes sur l’auteur et les manuscrits de ce texte (et de son original) dont la paternité a fait l’objet de débat depuis près d’un siècle maintenant.
Détail du manuscrit sur ebay
Le Somnium Viridarii peut être considéré comme le brouillon du Songe du Vergier. Les travaux récents de Marion Schnerb-Lievre l’ont définitivement attribué au breton Evrart de Tremagon. Ce dernier le composa – sans doute terminé en 1376 – à la demande du roi Charles V comme propagande de son indépendance vis-à-vis du pape Clément VII.
Le Songe du Vergier en est une traduction française, largement remaniée pour une plus grande clarté tant du point de vue de la composition même que de sa forme. Cette compilation inondée de citations, de renvois, « érudite », met en dialogue un clerc et un chevalier, prétexte à un « plaidoyer de la politique royale ». Elle est une confrontation des rapports entre les autorités ecclésiastiques et séculières.
Voir le c.r. de Le Songe du vergier, édité d’après le manuscrit Royal 19 C IV de la British Library par Marion Schnerb-Lievre, Paris, C.N.R.S., 1982. 2 vol. in-8°, XCII-503 et 497 pages (Sources d’histoire médiévale publiées par l’Institut de recherche et d’histoire des textes.) par Jacques Krynen sur le site Persée.
Les manuscrits utilisés pour cette édition :
¤ London BL Royal 19 C IV
¤ Paris BnF Fr. 537. XVe s. (1452). Détail, ci-dessous, f. 1:
(c) Paris BnF
¤ Paris Mazarine 5322. Ci-dessous détail d’une enluminure, f. 2v:
(c) CNRS-IRHT / CINES / Bibliothèque Mazarine / Liber Floridus
L’auteur : Evrart de Tremagon
Docteur in utroque, doyen du chapitre de Chartres, Evrart de Tremagon fut nommé à la tête du diocèse de Dol par le pape Clément VII le 17 octobre 1382. Il fit sa soumission à la Chambre apostolique le 17 novembre de cette année, mais protesta ne devoir que 3000 florins et non 4000 pro communi servicio. Au reste, il mourut n’ayant acquitté qu’une infime partie de cette somme.
Avant de porter la mitre, il fut conseiller du roi, comme on le voit par un acte daté d’octobre 1374. En 1384 il a procès au Parlement de Paris avec Guillaume de Chamborant qu’il avait accusé d’avoir fait assassiner son frère Yvon.
Le 7 juin 1385 il est présent à la ratification d’une donation faite par le duc de Bretagne Jean IV, qui le nomma parmi ses exécuteurs testamentaires le 31 octobre de cette même année. En mai 1386 il assiste aux Etats de Bretagne.
Il fonda dans sa cathédrale une rente annuelle de 70 sous pour l’établissement d’une procession que les chanoines devaient faire tous les samedis après complies:
Item, quedam est processio que fit omnibus sabbatis post completorium, quam fundavit bone memorie Evrard de Tremaugon … in qua quidem processione cantatur Inviolata, et post, de profundis, cum oratione fidelium …
Docteur en droit civil et droit canon, Evrart de Tremaugon professa à Paris entre 1369 et 1373. Trois de ses leçons ont été conservées et on fait l’objet d’une édition:
Gérard Giordanengo, Marion Schnerb-Lièvre, Trois leçons sur les Décrétales (Sources d’histoire médiévale, 33), cnrs, Paris, 1999.
On trouvera sur le site ARLIMA une notice avec bibliographie très détaillée et une liste des manuscrits du Songe du Vergier.
A consultera également, pour un contexte plus local: Le Songe du Vergier et la Bretagne, dans Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1/2, 1933.
Evart de Trémagon eut un frère, écuyer du duc d’Orléans en 1398.
Il y eut certainement confusion entre les patronymes Trémigon (env. de Combourg) et Trémaugon (Trémagon).
Elizabeth Gonzalez, dans Un prince en son Hôtel, Les serviteurs des ducs d’Orléans au XVe s., Publications de la Sorbonne, 2004, fournit une très intéressante biographie du chevalier Jean de Tremagon (+ 1396), sans doute apparenté à Evrart, et qui fut chambellan du duc d’Orléans. Il épousa Jeanne de Souday, fille de Triboulard II de Souday, seigneur de Glatigny et de Boisvinet, homme d’armes de la suite du roi Charles VI.
De même Guillemette de Tremagon : « Guillemette de Trémagon, damoiselle de Valentine Visconti, qui, elle aussi, bénéficia de la largesse ducale à l’occasion de ses noces célébrées en 1395 [London BL, Add. Ch. 2139-2140-2141, 2144 et 2718] ? 1395/02/10, Jean Poitevin, roi des ménestrels de France, rend (q) en son nom et en ceux de ses compagnons de 20 l.t. reçues de Jean Poulain « pour avoir composition faicte a cause de leur droit qui a eulx appartenoit pour les robes des noces de Guillemette de Tremagon qui nagaires ont esté faiz en la ville de Paris et dont ils ont esté menestrelx pour la feste » [London BL, Add. Ch. 2139]
p.s. Je remercie André-Yves Bourgès pour ses commentaires, toujours avisés, et la référence aux travaux de Louis Le Guennec. Il y a peut-être lieu de mentionner également le toponyme Trémagon en Plougar (Finistère).
Le Roman de la Rose : l’image dans le texte
Le premier Roman de la Rose, écrit vers 1230 par un poète courtois, Guillaume de Lorris, raconte les étapes initiales d’un parcours amoureux au milieu d’un jardin d’Amour. Inachevé, il s’interrompt après 4058 vers alors que l’amant, désespéré, est séparé de la Rose (la Dame) par les murailles pleines de personnages du château de Jalousie. Ce premier texte est la mise en récit, à travers la fiction d’un songe autobiographique, des thèmes de la lyrique courtoise, une sorte de synthèse poétique de la fin’amor (qui est alors à la fois à son apogée et au début de son déclin), un art d’aimer complexe et subtil, dans lequel l’allégorie est utilisée avec beaucoup de légèreté.
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Le Roman de la Rose est achevé vers 1270-1275 par Jean de Meun, clerc parisien par ailleurs traducteur d’oeuvres latines. Vers le milieu de l’ouvrage il donne son nom : Jean Chopinel, né à Meun-sur-Loire, ainsi que celui de son prédecesseur. Cette deuxième partie est une longue glose critique et ironique de la première, dont le ton est beaucoup plus lourd et démonstratif. L’amant perd ses illusions courtoises, et va jusqu’à cueillir la rose, dans une scène d’une obscénité à peine voilée. Les personnages sont des figures allégoriques: le dernier mot revient à Nature, qui exalte procréation et fécondité. Les thèmes courtois sont remplacés par des conseils cyniques, des digressions philosophiques inspirées d’Alain de Lille, des exposés scientifiques, des prises de position sur l’actualité.
Le Roman de la Rose connaît un succès durable surtout grâce à cette deuxième partie. Au début du XVe siècle, il est l’objet de la première querelle écrite de la littérature française, lorsque Christine de Pizan attaque les positions antiféministes de Jean de Meun. Livre de référence pour la Renaissance, il échappe au mépris pour le Moyen Âge et est édité par Marot (site Paris BnF).
On trouvera sur notre site une brève étude sur les manuscrits du Roman de la Rose et des liens utiles pour l’étude de ce texte.
Manuscrits médiévaux de Wallonie/Bruxelles
Le CICweb.be, organe informatique du Centre International de Codicologie et le Ministère de la Communauté française de Belgique présentent depuis juin 2007 leur site Guide en ligne des manuscrits médiévaux / Wallonie-Bruxelles.\ »CICweb.be est un réseau virtuel et humain qui recense actuellement 37 établissements wallons et bruxellois et réunit plusieurs spécialistes du manuscrit médiéval qui collaborent au projet.
Avec leur aide, CICweb.be propose aujourd’hui un inventaire collectif sous la forme d’un guide en ligne de tous les manuscrits médiévaux conservés en Communauté française de Belgique.\ »
Les partenaires scientifiques de ce projet:
Bibliothèque royale de Belgique
www.kbr.be
Institut de Recherche et d’Histoire des Textes
www.irht.cnrs.fr
Institut Royal du Patrimoine Artistique
www.kikirpa.be
Pour chaque manuscrit recensé: localisation, description matérielle, historique, contenu, bibliographie.
Illustration : Psautier de Louis le Hutin (Archives et Bibliothèque de la Cathédrale de Tournai B.C.T. A 17)
PAGES ANNEXES
Auteur du blog : Jean-Luc DEUFFIC
