Patrons, Authors and Workshops : Books and Book Production in Paris around 1400
« Patrons, Authors and Workshops » invokes a cross-disciplinary approach to the study of late medieval books and book production in Paris, from the troubled years of the early fifteenth century onwards. It shows the extent to which such activity was able to flourish even against the backdrop of the endemic struggle between Burgundians and Armagnacs, or the subsequent English invasion which led to Agincourt and the regency of Bedford. Extensive coverage is given to the key role played by the libraire, to the author as scribe or copyist (Christine de Pisan, Jean Lebègue), and also to the development of commercial production under figures such as Jean Trepperel. A section on bibliophiles and their various commissions leads into a group of essays that focus on particular texts and authors, whilst a further section concentrates on what we can discover about the role of the scribe. The volume concludes with four essays offering insights into the work of particular artists and illuminators. (Peeters ed.)
Les \ » bibliologues \ », les historiens du livre manuscrit trouveront dans les diffèrentes contributions rassemblées par Godfried Croenen (Université de Liverpool [Lien]) et Peter Ainsworth (Université de Sheffield [Lien]) une documentation remarquable issue de la plume d’éminents spécialistes. Les thèmes abordent ici l’histoire de la production du livre à Paris autour des années 1400, période faste s’il en est, que Richard H. House et Mary A. Rouse avaient déjà méticuleusement exploré dans leur magistrale étude
Illerati et Uxorati: manuscripts and their makers. Commercial book producers in medieval Paris, 1200-1500, H. Miller, 2000.
Nos recherches sur les copistes et les libraires bretons au Moyen Age nous ont conduit bien évidemment sur les mêmes chemins, à remonter aux mêmes sources, et chaque contribution du présent ouvrage nous donne une vision plus large de nos acquisitions documentaires. Il serait vain de reprendre chaque article de ce passionnant recueil. Je me contente pour ceux qui touchent plus précisement à mon domaine de recherche d’apporter certaines précisions:
Introduction
Godfried Croenen, Patrons, Authors and Workshops : Books and Book Production in Paris around 1400
Mention, page 16, de deux copistes bretons bien connus. Henri de Trévou, copiste et libraire, très productif à la fin du XVe s. Il participa entre autres à la confection d’un exemplaire du Polycratus pour le roi Charles V (Paris BnF Fr. 24287), des Grandes Chroniques de France (Paris BnF Fr. 2813), etc. Trévou (arrondissement de Lannion, Côtes d’Armor) faisait partie jadis de l’ancien diocèse de Dol. Il existe aussi dans le Finistère Le Trevoux, mais avec une forme ancienne Treffou (1426). Raoul Tainguy, est sans conteste, par son \ »jargon\ », un des copistes les plus originaux de ce début du XVe s. Voir M.-H. Tesnière, Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy, un aspect de la culture des grands officiers royaux au début du XVe siècle, dans Romania, t. 107, 1986, p. 282-368. On retiendra de ses quelques colophons pitoresques celui du manuscrit Paris BnF Fr. 6475, des Chroniques de Froissart:
\ » Raoul Tainguy, qui point n’est yvre
A Jaingny acomplit cest livre
Le mardi IIIIe jour de juillet
Puis ala boir chiés Tabouret,
Avec Pylon et autres catervaulx
Qui aiment ongnons, trippes et les aulx
Catervaument\ ».
Part I. Libraires an commercial book production
Kouky Fianu [Lien & Lien], Métiers et espace: topographie de la fabrication et du commerce du livre à Paris (XIIIe-XVe siècle)
>>> L’auteur fait mention, p. 27, de Yves du Run, et de Marion, sa femme, un couple de libraires. J’ai donné sur ce même blog [Lien] quelques informations sur ces derniers. Kouky Fianu montre que vers la fin du XIVe et au XVe siècle les artisans du livres multiplient leurs zones de production, alors limitées surtout sur la rive gauche et rue Neuve Notre Dame. Le cas du copiste breton Yves le Gourgeu est assez significatif. Notre maître écrivain, qui travailla entre autres pour le mécène bourgignon Philippe Le Hardi, demeurait dans \ » une maison assise a paris en la rue des bretons ou du puys pres de la porte saint jacques\ ». Cf. Jean-Luc Deuffic, Yves Le Gorgeu, maistre escripvain de Paris en la rue des Bretons (ca 1385), Pecia, 4, 2004, p. 113-114.
Richard H. Rouse, Pierre le Portier and the Makers of the Antiphonals of Saint-Jacques
>>> Le libraire Pierre le Portier exerçait aussi comme stationnaire universitaire et notaire royal et apostolique. Le cas est fréquent de cette double fonction, notariale et livresque, et j’en ai relevé quelques exemples chez les artisans bretons du livre: Brice le Breton, que nous avons identifié avec \ »Brice de la Court\ », copiste très productif dans la première partie du XIVe s.; Yves Grall; Guillaume de Lesconet, attesté en 1359, rue neuve Notre Dame, avec sa femme, Peronelle le Boucher; Geoffroy le Breton, dit de la Rue Neuve [Notre-Dame], stationnaire et libraire (+ avant 1336), notario publico, se porte caution, en 1312, pour son compatriote Alain de Trevelec, chanoine de Saint-Opportune (Paris AN L 617, 46), etc…
Je relève aussi dans la contribution de Richard H. Rouse le nom du relieur Yves (Yvonnet) Riou[t] dont l’origine bretonne ne semble faire aucun doute, qui travailla à la confection de plusieurs livres liturgiques pour la confrairie de Saint-Jacques-aux-Pèlerins. Une famille Riou, seigneur de Kerangoes était possessionée dans l’ancien diocèse de Saint-Pol-de-Léon. La parenté de Yvonnet avec l’enlumineur Jean Riou[t], lequel exerçait en 1365 rue Erembourg de Brie, ne me parait pas établie car le nom est fréquent en Bretagne.
Mary A. Rouse, Archives in the Service of Manuscript Study: The Well-Known Nicolas Flamel
Hilary Maddocks, The Rapondi, the Volto Santo di Lucca, and Manuscript Illumination in Paris ca. 1400
Stéphanie Öhlund-Rambaud, L’atelier de Jean Trepperel, imprimeur-libraire parisien (1492-1511)
Part II. Bibliophiles: their collections and their commissions
Gilbert Ouy, Jean Lebègue (1368-1457), auteur, copiste et bibliophile
>>> (Page 163) Parmi les manuscrits possédés par Jean Lebègue notons le ms Paris Mazarine 780 (Recueil): Alcoranus; Ibn Tumart, Opera; Alexandri Magni vita. Parchemin. 23 octobre 1400. 157 f. 344 x 264 mm. 2 colonnes. Sommaire à la marge à l’encre rouge. Une seule main. Au f. 113, cette note: “Explicit liber Alchorani infedilissimi Sarraceni scriptus per me Iohanemm Dogueti, clericum Maclouiensis diocesis in Britannia, sub anno a nativitate Domini millesimo quadringentesimo, indictione octava et die vicesima tercia mensis octobris, tempore Benedicti tercii decimi de nacione Cathalanorum”. Il s’agit entre autres de la traduction latine du Coran du mozarabe Marc de Tolède, effectuée (ca 1209/1210) à la demande de l’archevêque Rodrigo Ximenez. Marie-Thérèse D’Alverny, Deux traductions latines du Coran au Moyen Age, dans Archives d’Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Age, 15, 1947-1948, p. 113, 114, 116, 118-125; Marc de Tolède, traducteur d’Ibn Tumart, dans Al-Andalus, 17, 1952, p. 124-131. Nicole Pons, Érudition et politique. La personnalité de Jean le Bègue d’après les notes marginales de ses manuscrits, dans Les serviteurs de l’État au Moyen Âge. Actes du XXIXe Congrès de la SHMESP (Pau, 1998), Paris, Publ. de la Sorbonne, 1999, p. 281-297 (p. 284, n° 32 & 33).
Un copiste nommé Jehan Douguet travailla pour la Chartreuse de Champmol à la confection d’un missel. Peut-être est-ce le même, quoique les deux formes, Douguet et Doguet, existent en Bretagne: « A Jehan Douguet, breton, escripvain, pour l’escripture d’un Missel, par marchié fait par Dom Jehan de Lengres, ou temps du dit Dom Nicholas, baillé par le dit frère Thiébaut … 27 frans.
Anne D. Hedeman, Making the Past Present: Visual Translation in Jean Lebègue’s “Twin” Manuscript of Sallust
John Lowden, Beauty or Truth? Making a \ »Bible Moralisée\ » in Paris around 1400
Part III. Authors and Texts
Janet F. van der Meulen, Simon de Lille et sa commande du \ »Parfait du Paon\ ». Pour en finir avec le \ »Roman de Perceforest\ »
Silvère Ménégaldo, Les relations entre poète et mécène dans \ »La Prison Amoureuse\ » de Jean Froissart
Alberto Varvaro, Problèmes philologiques du livre IV des Chroniques de Jean Froissart
Susanne Röhl, Le Livre de Mandeville à Paris autour de 1400
James Laidlaw, Christine de Pizan: the Making of the Queen’s Manuscript (London, British Library, Harley 4431)
Part IV. Scribes
Margaret Connolly & Yolanda Plumley, Crossing the Channel: John Shirley and the Circulation of French Lyric Poetry in England in the early Fifteenth Century
Émilie Cottereau, Les copistes en France du Nord autour de 1400: un monde aux multiples visages
Maria Kalatzi, Georgios Hermonymos: a Greek Scribe and Teacher in Paris
Part V. Artists and Illuminators
Sue Ellen Holbrook, The Properties of Things and Textual Power: Illustrating the French Translation of \ »De Proprietatibus Rerum\ » and a Latin Precursor
Heidrun Ost, Illuminating the \ »Roman de la Rose\ » in the Time of the Debate: The Manuscript of Valencia
>>> Sur le \ »Roman de la Rose\ », voir le précédent billet.
Catherine Reynolds, The Workshop of the Master of the Duke of Bedford: Definitions and Identities
>>> Pages 442, 444, mention de l’exemplaire de l’Arbre des batailles (Paris BnF Fr. 1276) de Tanguy du Chastel, fig. 68, f. 4v.
Jenny Stratford, The Illustration of the \ »Songe du Vergier\ » and some Fifteenth-Century Manuscripts
>>> Sur l’auteur de ce texte, et les manuscrits voir sur ce blog [Lien]
Patrons, Authors and Workshops. Books and Book Production in Paris around 1400.
G. Croenen & P. Ainsworth (ed.), Peeters, Leuven, 2006, xxii-508 p., 82 fig., 17 colour plates. ISBN: 90-429-1707-5.
PEETERS Publishers [Link]
Normannia Monastica
Véronique Gazeau, Normannia Monastica (Xe-XIIe siècle). Princes normands et abbés bénédictins. Prosopographie des abbés bénédictins.
Publications du CRAHM, Caen, 2007. Deux volumes reliés, coffret cartonné. Vol. 1 : 512 pages, Vol. 2 : 416 pages. 16×24 cm / ISBN 978-2-902685-38-7.
Si les Gallia christiana et Neustria pia étaient peu accessibles, peu maniables, pleins de vérités autoproclamées, les passionnés d’histoire de la Normandie, d’histoire religieuse, d’histoire tout court disposent désormais du Normannia monastica. La prosopographie présente 327 abbés bénédictins de la Normandie ducale, entre 911 et 1204. L’auteur ne s’est pas contentée de préciser la datation et le déroulement de l’abbatiat. Les origines familiales de l’abbé, sa formation religieuse, sa désignation à la charge abbatiale, son implication dans la vie politique, intellectuelle, religieuse de son temps sont passées au peigne fin. On découvre l’identité et l’activité de prélats des deux côtés de la Manche, des deux côtés des Alpes, des plus humbles aux plus prestigieux, comme Guillaume de Volpiano ou Lanfranc. Pourquoi Suppon a-t-il été chassé par les moines du Mont Saint-Michel ? À quel moment Herluin abandonne-t-il la vie chevaleresque pour embrasser l’état monastique ? Quels sont les rapports entre Robert de Torigni et Henri II Plantagenêt ?
Instrument de travail pour les spécialistes, le Normannia monastica est aussi un ouvrage qui aiguise la curiosité. Que l’on s’intéresse à un abbé, à l’histoire d’une abbaye, à ses possessions, aux familles qui gravitent autour d’elle, chacun y trouvera une source d’information essentielle…
Véronique Gazeau est professeur d’histoire médiévale à l’Université de Caen Basse-Normandie (CRAHM UMR 6577). Ses recherches portent notamment sur les relations entre aristocratie et monachisme dans les mondes normands médiévaux.
¤ Présentation de l’ouvrage et sommaire [Lien]
¤ Compte-rendu de Stéphane Lecouteux sur la revue en ligne Tabularia [Lien]
Images de musiciens (1350-1500)
A paraître:
Martine Clouzot, Images de musiciens (1350-1500) Typologie, figurations et pratiques sociales. Brepols Publishers. 353 p., 150 ills. couleur, 190 x 290 mm, 2008, broché, ISBN: 978-2-503-52345-3, € 125 HT Collection : Épitome musical.
Prix de lancement de € 99 TTC valable jusqu’au 31 mars 2008.
Les livres enluminés du Moyen Âge résonnent de mélodies instrumentales jouées par des musiciens hauts en couleurs : ménestrels, jongleurs, muses, animaux, grotesques, sirènes, anges, ainsi que le roi David emplissent les peintures des bibles, des psautiers, des livres d’heures, des traités, des chroniques et des romans. Toute une palette visuelle et sonore s’offre à la vue et à l’ouïe des lecteurs, spectateurs et auditeurs de l’époque et d’aujourd’hui. La beauté des images doit tout autant au talent des enlumineurs qu’à la pensée symbolique qui la structure. Quelles sont alors les formes iconographiques des musiciens dans les manuscrits peints ? Quelles conceptions de la musique et des instrumentistes nous donnent-elles à voir et à entendre ? En quoi la mise en image de la musique est-elle une clé de compréhension du monde au Moyen Âge ? La société bourguignonne de la deuxième moitié du XIVe siècle à la fin du XVe siècle sert de cadre à cette réflexion située à la croisée de l’histoire, de la musique, de la culture et de l’art.
Table des matières :
Aux marges de la musique
Entre dérision et sacrilège: animaux, grotesques et squelettes musiciens: L’animal musicien – Une iconographie musicale de la mort – Danses et mélodies macabres Le jongleur, figure et discours: Le jongleur homo ludens – Le jongleur homo viator, un marginal ? – Diabolisation et moralisation des discours
La musique du pouvoir
La musique de la cité: Les instruments de la ville – Les ménestrels au service d’ordre – Du miracle à la confrérie: le métier de musicien
Les ménestrels du prince: Une hiérarchie desinstruments et des musiciens – Le statut des ménestrels à la cour – Le duc et ses trompettistes : service et fidélité
Harmonies princières: La cour en représentation : musique et cérémoniels – Les trompettes aux tournois et à la guerre – Le son et le pouvoir : les entrées solennelles
De la musica à l’harmonie du monde
Au rythme des processions et des mystères: Une société en ordre : la procession religieuse – Une musique théâtralisée: le Mystère de la Passion – Le théâtre du monde ?
Musica : des mathématiques à la science divine: Les « inventeurs » de la musica : Pythagore, Tubal et les allégories de la musique – Les musiciens savants à la cour : entre théorie et pratique – Musique et médecine: une image et un remède à la mélancolie – Musicus et Praefigura Christi : le roi David harpiste
L’harmonie du monde: Les anges de l’Apocalypse et du Jugement dernier – Le cosmos musical: l’harmonie des sphères et la musique des anges – Une hymne à la beauté du monde
Conclusion
Bibliographie – Table des illustrations – Crédits photographique
Brepols Publishers: site web [Lien]
La place de la musique dans la culture médiévale
Olivier Cullin (éd.), La place de la musique dans la culture médiévale. Actes du Colloque organisé à la Fondation Singer-Polignac le mercredi 25 octobre 2006 (Rencontres médiévales européennes), Turnhout, Brepols, 2007. 16 x 24 cm. 151 p. (musique notée). ISBN 978-2-503-52520-4.
Les Rencontres Médiévales Européennes avaient choisi pour thème de cette journée du 25 octobre 2006 la place de la musique dans la culture médiévale. Vaste programme pour ce « ciment … vecteur privilégié de la Parole de Dieu et des poètes … » Les communications présentées s’accordent bien entendu sur le rôle prépondérant de la musique dans la vie intellectuelle et sociale. S’appuyant sur un héritage théorique et mythologique gréco-romain, la musique médiévale s’est inscrite dans la culture occidentale comme un art entier, « chant de l’âme et du corps … de la terre et du ciel ».
Michel Lemoine (†) parlant de saint Augustin (354-430), montre comment le grand théologien a « apporté au profit de la musique religieuse le poids d’une expérience spirituelle ».
Les lois de la musique ont-elles été inventées avant les instruments ? Jean-Marie Fritz étudie la réception médiévale des mythes antiques. Le premier musicien a-t-il imité le chant des oiseaux, le bruit du vent ? C’est la thèse primitiviste. D’autres considèrent au contraire que la théorie a précédé la pratique. La Genèse (4, 21) raconte comment Jubal, l’ancêtre des joueurs de cithare, découvrit les lois de la musique bien avant les instruments.
L’importance de la musique dans la société médiévale, et plus particulièrement dans la littérature fait l’objet d’une étude de Jacques Verger consacrée à Vincent de Beauvais et aux encyclopédistes du XIIIe s. Le dominicain est l’auteur du Speculum majus (en trois volumes : historiale, naturale, doctrinale), achevé en 1258, entreprise colossale dont le succès se mesure au nombre d’exemplaires encore conservés dans les bibliothèques. La musique est surtout présente dans le Speculum doctrinale, dans le livre dédié aux mathématiques (Livre XVI), c’est-à-dire au quadrivium. Vincent de Beauvais s’applique à donner quelques principes théoriques sur la musique, exploitant des sources déjà connues comme le De institutione musica de Boèce (ca 480-524/525) ou des auteurs antiques (Platon, Ptolémée, Virgile). Jacques Verger achève son étude en analysant la musique et le son dans le De proprietatibus rerum de Bathélémy l’Anglais (+ après 1250). Il conclut par la portée limitée des encyclopédies médiévales comme témoins historiques de la musique et de sa pratique.
« La mémoire médiévale est liée à la formation d’un système d’images ». A partir de cette idée fondamentale exprimée par Frances Yates, dans The Art of Memory (1966), Olivier Cullin, professeur de musicologie médiévale et chercheur au Centre d’Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers (CNRS-UMR 6223), éditeur de ces Rencontres, nous introduit dans « l’oeil de l’esprit », définissant les dimensions respectives de la musique, de la mémoire et de l’écriture au Moyen Age. S’appuyant sur son édition électronique (1) du graduel de Bellelay, Olivier Cullin nous fait observer par exemple la disposition et certaines distinctions qui permettent à l’oeil de saisir les informations essentielles : encre noire du texte, encre rouge des rubriques, grandes majuscules pour l’introït, etc. L’écriture est « une servante de la mémoire, le livre son extension … les lettres écrites évoquent les voix de ceux qui ne sont plus … » (Mary Carruthers dans son Machina memorialis, Paris, 2002, p. 167-168). Ainsi, paradoxalement la musique ne nait pas de l’écriture musicale.
Martine Clouzot s’intéresse depuis plusieurs années à la musique, aux musiciens et à leurs instruments, qu’ils soient populaires ou de cour. Elle nous présente ici une étude sur la musique au service du prince aux XIVe et XVe s. Gilles de Rome (1243-1316), dédiant au futur Phlippe le Bel son De Regimine principum, « enseigne comment les rois et les princes doivent estres joieus et esbatanz selon reson ». Martine Clouzot relève ainsi la place importante des ouvrages didactiques et encyclopédiques (traitant de la musique) dans les « librairies » princières. L’ars musica serait-il un art de « gouvernance » ? L’exemple du roi David, musicien par excellence, symbolise cette reconnaissance du prince chrétien, figure d’autorité, « modèle chantant du pouvoir » (Michel Zink). Christine de Pisan compare Charles V à ce dernier, comme lui « il aimait à écouter … des instruments à sons voilés que l’on jouait aussi bas que l’art de la musique peut le permettre… » (Le Livre des fais et bonnes meurs du roi Charles V le Sage, 1997, p. 69). L’auteur des Psaumes, David, dont la représentation occupe de façon récurrente l’initiale B du Beatus vir dans les manuscrits liturgiques médiévaux, traduit avec force cette rencontre de la musique et du spirituel.
Ces communications des Rencontres Médiévales Européennes (2006), conjugant richesse et diversité, nous proposent un regard croisé sur divers aspects de la musique médiévale. Elles expliquent notamment la place singulière qu’elle exerça durant plusieurs siècles comme élément fondamental de notre histoire culturelle occidentale.
Sommaire
Monique Cazeaux, Introduction, p. 9
(†) Michel Lemoine, Saint Augustin et la musique, p. 11
Jean-Marie Fritz, La réception médiévale des mythes antiques d’invention de la musique, p. 23
Dom Daniel Saulnier, Le Verbe et la musique, p. 39
Gunilla Iversen, Le son de la lyre des vertus. Sur la musique dans la poésie liturgique médiévale, p. 47
Jacques Verger, La musique et le son chez Vincent de Beauvais et les encyclopédistes du XIIIe s., p. 71
Olivier Cullin, L’oeil de l’esprit : la musique, la mémoire et l’écriture au Moyen Age, p. 87
Anne-Zoé Rillon, Convaincre et émouvoir. Les conduits monodiques de Philippe le Chancelier, un médium pour la prédication, p. 99
Martine Clouzot, Musique, savoirs et pouvoir à la cour du prince aux XIV et XVe siècles, p. 115
Michel Zink, Conclusions, p. 139
Note: (1) Graduel de Bellelay [En ligne]
Liens :
Olivier Cullin : bio-bibliographie [Lien]
Fondation Singer-Polignac [Lien]
Editions BREPOLS
Begijnhof 67
B-2300 Turnhout Belgique
Site web [Lien]