La Bretagne des origines : de nouvelles approches. IrCaBriTT et CODECS
La Bretagne carolingienne n’a pas encore dévoilé tous ses mystères et ses richesses et les zones d’ombre sont encore nombreuses sur cette période et celle qui la précède. L’absence flagrante de documentation originale complique l’approche de l’historien. La dispersion des élites bretonnes à l’époque des grandes invasions scandinaves (IX-Xe siècle) s’est accompagnée d’une atomisation des collections monastiques contribuant à un éparpillement significatif des manuscrits échappés au vandalisme.
En 1985, lors d’un mémorable colloque organisé pour le 15e centenaire de l’abbaye Saint-Guénolé de Landévennec, j’avais modestement fait un état des lieux de la question (1) en dressant un catalogue des manuscrits bretons, initialement à partir de données puisées aux travaux pertinents du regretté professeur Léon Fleuriot (1923-1987) et aux contacts que j’avais alors avec l’éminent paléographe allemand Bernard Bischoff (1906-1991).
Depuis cette époque, quelques études ont été consacrées à tel ou tel manuscrit breton (2), mais pour lors nous attendons toujours une histoire globale des scriptoria armoricains dans un contexte plus large, celui de leurs relations avec les centres culturels de la grande Celtie. Aussi, c’est avec beaucoup d’intérêt que nous assistons à la genèse de plusieurs bases documentaires liées à cette problématique.
Mention particulière, tout d’abord, au projet « Ireland and Carolingian Brittany: Texts and Transmission » (IrCaBriTT) financé par Laureate Awards Scheme de l’Irish Research Council et dirigé par le Dr Jacopo Bisagni (Classics, NUI Galway).
Le projet IrCaBriTT explore les échanges culturels entre l’Irlande, la Bretagne et la Francia à l’époque carolingienne (vers 750-1000). Plus précisément, l’un des principaux objectifs du projet est d’évaluer l’impact de l’héritage littéraire et savant de l’Irlande paléochrétienne sur la formation de l’identité textuelle et culturelle de l’élite intellectuelle de la Bretagne médiévale.
IrCaBriTT se concentre sur un groupe nouvellement découvert de textes très distinctifs du début du Moyen Âge sur le comput (science du calcul du temps) et l’exégèse biblique, tous montrant des liens clairs avec la Bretagne. En plus de fournir de nouvelles preuves substantielles pour des domaines jusqu’ici négligés de l’éducation et de l’érudition bretonnes à l’époque carolingienne, ces travaux démontrent la contribution formative de l’apprentissage irlandais médiéval au développement des idées « scientifiques » et religieuses bretonnes entre la fin du VIIIe et le début du Xe siècle.
L’intégration de ces nouvelles preuves dans une évaluation globale de la transmission bretonne des textes hiberno-latins permet de reconstruire et de comprendre les réseaux intellectuels qui ont lié les scriptoria insulaires, bretons et francs où ces œuvres ont été produites, copiées et étudiées.
Les chercheurs trouveront en ligne une riche Handlist of Breton Manuscripts, c. AD 780–1100 (DHBM), travail remarquable de Jacopo Bisagni (avec les contributions de Sarah Corrigan), précédée d’une utile présentation sur les caractéristiques du « manuscrit breton ».
La base s’accompagne d’une bibliographie exhaustive et d’une liste de ressources internet.
Le projet IrCaBriTT marque une étape décisive dans l’étude de la Bretagne carolingienne. Saluons donc la très belle initiative de Jacopo Bisagni, en espérant qu’elle suscite de nouvelles idées parmi nos jeunes chercheurs bretons …
Dans cette même optique, signalons CODECS: Collaborative Online Database and e-Resources for Celtic Studies, publiée par la A. G. van Hamel Foundation for Celtic Studies. Textes, manuscrits et bibliographie composent cette riche base.
CODECS, acronyme de Collaborative Online Database and e-Resources for Celtic Studies, est une plateforme en ligne publiée par la Fondation A. G. van Hamel pour les études celtiques, basée aux Pays-Bas. Il présente une tentative continue de construire un catalogue descriptif complet des sources d’intérêt pour les études celtiques, y compris texte et manuscrit inédits, ainsi qu’une bibliographie qui contient actuellement plus de 20 000 références. De plus, pour enrichir les façons dont les utilisateurs peuvent découvrir et explorer ces ressources anciennes, il fournit des informations structurées sur les contenus ainsi que sur les contextes ou les provenances des sources décrites.
Parmi les ressources annexes nous trouvons même le dictionnaire néerlandais-breton de Jan Deloof (2004).
(1) Jean-Luc Deuffic, “La production manuscrite des scriptoria bretons (VIIIe-XIe siècle)”, in: Simon, Marc (ed.), Landévennec et le monachisme breton dans le haut Moyen Âge: actes du colloque du 15e centenaire de l’abbaye de Landévennec, 25-26-27 avril 1985, Association Landévennec 485-1985, Landévennec: Association Landévennec, 1986. 289-321.
(2) Je pense, par exemple, aux travaux de David N. Dumville et de Louis Lemoine. Avec le CRBC (Centre de Recherche Bretonne et Celtique), le CIRDOMOC, que j’ai contribué à créer au lendemain du colloque précité, fédéralise aujourd’hui une grande partie des études celtiques en Bretagne.
Illustrations: New York, Public Library, 115 / Boulogne, BM, 8
Bonjour Jean-Luc,
Très intéressant de voir l’avancée des recherches dans le domaine, merci pour cet article. Je me demandais, s’il y avait la possibilité, à travers ces bases ou autres, de faire une recherche sur la décoration de ces ms ?
Bien à vous,
Claudine