Des Heures … et des armes … Bertrand de Tourzel et Isabelle de Levis : un couple mécène
Ce post sera publié dans le volume 14, 2011, de la revue Pecia. Le Livre et l’écrit.
PECIA : Le livre et l’écrit
Edition : Brepols Publishers (Turnhout)
Les Heures du « Maître aux Fleurs » : pour un commanditaire breton ?
L’enluminure flamande a engendré d’admirables artisans et les noms de Simon Marmion, Simon Bening, Rogier van der Weyden, Gerard David, Jan van Eyck, et tant d’autres, restent attachés à de superbes productions.
Nous aimerions simplement parler ici d’une oeuvre bien particulière, les Heures du Maître aux Fleurs, un Livre d’heures en deux volumes conservé à la bibliothèque parisienne de l’Arsenal, ms 638/639, auquel ont collaboré :
<> le Maître du Livre de prière de Dresde (ca 1465–1515) à qui l’on doit entre autres : Livre d’heures du Fitzwilliam Museum ; Heures de Jean Carpentin, seigneur de Graville ; Heures, Jean Paul Getty Museum ; Bréviaire de la reine Isabelle de Castille (1480, London, BL, Add. 18851 ; Pierpont Morgan Libary M 1077 (R. S. Wieck, Painted Prayers, 1998, n° 72) ; Livre d’heures de la BL, Egerton 1147; etc. ). Nommé à partir d’un Livre d’heures conservé à Dresde (Dresden, Sächsische Landesbib., A311 ; plus 2 miniatures détachées à présent au Louvre (Paris), inv. 20694 et bis), actif à Bruges à partir de la fin du XVe s., cet enlumineur prolifique a travaillé sur une cinquantaine de manuscrits, surtout apprécié pour ses vignettes illustrant les marges des calendriers, où son art s’est pleinement épanoui.
<> le Maître des Livres de prières ca 1500, connu notamment par un exemplaire du Roman de la Rose (c. 1490-1500, Londres, BL, Harley 4425), sans doute commandé par Engelbert II de Nassau, courtisan de Charles le Téméraire.
<> un \ »disciple\ » de Simon Marmion
Les Heures du Maître aux Fleurs, acquises par M. de Paulmy (1722-1787, fondateur au XVIIIe siècle de la Bibliothèque de l’Arsenal) avaient été jugées par leur acheteur : Ce beau manuscrit en deux volumes ne m’a couté que deux louis, mais il vaut davantage…
Si la critique s’est surtout emparée de la décoration de ces Heures, l’identité de son commanditaire n’a jamais, il me semble, été abordée. L’étude du calendrier latin pourrait cependant nous mettre sur une piste. En effet, une remarque s’impose : la présence caractéristique de saints bretons, particulièrement nantais ne peut être le fait du hasard. Voici cette liste :
Janvier
8 Felix ev. (Nantes)
29 Gildas (Bretagne, Nantais)
Février
8 Salomon m. (Bretagne)
Mai
19 Yves conf (Bretagne)
24 Donatien ev. (Nantes)
Juin
17 Similien ev. (Nantes)
18 Hurnei conf. (sic, pour Hervé, Bretagne, mais honoré à Nantes, reliques. Le copiste a-t-il mal lu son modèle ?)
21 Meen ab. (Bretagne)
Juillet
12 Turiaw (Thuriaui epi) (Bretagne)
Août
16 Armel conf. (Bretagne)
Octobre
24 Martin ab. (Nantais, Vertou)
29 Yves conf. (Bretagne)
Novembre
15 Malo ev (Bretagne)
Décembre
12 Corentin ev (Bretagne)
© Paris, Arsenal, 638, f. 12v. Décembre. Corentini, au 12. Maître du Livre de prière de Dresde
Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises les liens culturels entre Flandre et Bretagne (voir dernièrement nos Notes de bibliologie, p. 292-293) qui ont conduit plusieurs nobles ou bourgeois bretons a passer commande de manuscrits auprès des ateliers flamands. Les Heures à l’usage de Gand ou Bruges des malouins Jean de Noual et Jeanne Mayngart ont ainsi été illustrées par le Maître de l’Ancien Livre de Pières de Maxilmilien 1er, et le Maître des Livres de Prières. Voir encore cet autre Livre d’heures à l’usage de Saint-Malo, Bruges, ca 1470 (Sotheby’s, 2001, lot 42). Il ne serait donc pas étonnant que les Heures du Maître aux Fleurs soit une commande bretonne…
Les relations de la Bretagne avec la Flandre avaient commencé dès le xiiie siècle. Elles se développèrent au xve siècle, grâce à l’alliance de François II avec Charles-le-Téméraire. Les Bretons fréquentaient surtout les grandes foires de Bergues, Bruges et Anvers. Celle de Bergues commencait huit jours après Pâques ; celle de Bruges s’ouvrait à la Sainte-Croix de Mai ; celle d’Anvers arrivait trois jours après la Pentecôte. Elles duraient chacune trois semaines. Les marchands y affluaient de toutes les parties de l’Europe. Les Bretons y portaient du drap de Rennes, du canevas de Vitré, de la toile et du sel. Ils achetaient de la mercerie et de l’épicerie, de la cire, de l’étain, du plomb, de l’alun, de la couperose, de la noix de galle, du fil de fer, du laiton, du gratte-fil de laiton, de la tôle, du cuivre, toute espèce de quincaillerie. Ils faisaient même des provisions de harengs. Parmi les négociants habitués à fréquenter ces foires figurent André Bernadaie, do Rennes, Bertrand Lebreton, Jean Ravenel, Macé Delaunay, de Vitré, Pierre Calays, Guillaume Loisel, Jean Maillard, Georget Day, Guillaume Lucas, Jean Legouz, Georget Lize, de Rennes. Tous étaient de riches négociants, qui figuraient parmi les notables de leur ville. A leur compagnie s’ajoutaient des marchands de Dol, Dinan, Montfort, Montcontour, Saint-Malo, Morlaix. Saint-Brieuc, Quintin, Tinténiac. Ils avaient en Flandre des facteurs et des commis chargés de veiller à leurs affaires, des correspondants qui emmagasinaient leurs marchandises. Ils ramenaient en Bretagne de grosses cargaisons, qu’ils vendaient aux foires de Rennes (M. Dupuy, L’industrie et le commerce en Bretagne au XVe siècle, dans Bulletin de la Société académique de Brest, VI, 1879-1880, p. 67).
Description du manuscrit de l’Arsenal :
Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, I, p. 482-484.
Sur la base Luxury Bound d’Hanno Wijsman http://www.cn-telma.fr/luxury-bound/manuscrit2538/
Pour l’étude de la bibliothèque de Paulmy, qui fut à l’origine de la bibliothèque de l’Arsenal, on consultera, entre autres : Antoine-René d’Argenson, marquis de Paulmy : 1722-1787, Exposition à la Bibliothèque de l’Arsenal (24 juin-31 août 1987), Paris, Bibliothèque nationale, 1987, [20] p., portr., couv. ill. Danielle Muzerelle, « La bibliothèque de Monsieur le Marquis de Paulmy [suivi de quatorze lettres inédites du Marquis de Paulmy] », dans Voyages de bibliothèques. Actes du colloque des 25-26 avril 1998 à Roanne [organisé par l’] Institut Claude Longeon Renaissance et Age classique, Université Jean Monnet, Saint-Etienne ; textes réunis par Marie Viallon, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999.
Biblio :
Henry Martin et Philippe Lauer, Les principaux manuscrits à peintures de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris (Bulletin de la Société française de reproductions de manuscrits à peintures, 11), Paris 1929, p. 59 (ill. 84 : f. 106, 111)
Paul Durrieu, La miniature flamande au temps de la cour de Bourgogne (1415-1530), Bruxelles, 1921, n° 82 (f. 48)
Antoine De Schryver, ‘De miniatuurkunst te Gent’, Gent. Duizend jaar kunst en cultuur, exhib. cat., Ghent 1975, p. 323-396, n° 625b
Georges Dogaer, Flemish Miniature Painting in the 15th and 16th centuries, Amsterdam, 1987.
Bodo Brinkmann, Die flämische Buchmalerei am Ende des Burgunderreichs : der Meister des Dresdener Gebetbuchs und die Miniaturisten seiner Zeit, 2 vol., Turnhout 1997, n° 37, p. 13, 305-307, ill. 308-310.
Elisabeth Antoine et al., Sur la terre comme au ciel. Jardins d’occident à la fin du Moyen Âge. Catalogue, Paris 2002, n° 99.
Anne-Marie Legaré, « The Reception of the Dresden Prayer Book Master in the Hainaut », dans J. Hamburger, A. Korteweg (eds.), Tributes in Honor of James H. Marrow Studies in Painting and Manuscript Illumination of the Late Middle Ages and Northern Renaissance, Brepols, 2006.
British Library, Harley 2921 : Les Heures de dame Catherine Boutechoux
Le manuscrit Harley 2921 de la British Library est un Livre d’heures de 105 f. aux dimensions de 175 x 125 (110 x 65) mm, datant des années 1430/140. On trouvera sur le site de la BL une description sommaire et un renvoi au Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, 1808-1812, II, n° 2921. La décoration consiste en 11 grandes miniatures pleine page. L’inscription du f. 1v nous a permis d’identifier comme possesseur de ce Livre d’heures Catherine Boutouchoux, femme du juge de la \ »Regalie\ » de Besançon, Humbert Jantet.
Catherine Boutechoux, était la fille de Simon (4e fils de Jacques Boutechoux et de Guillemette Marmier) et de Parise L’Espard. Elle épousa \ »Noble Homme & sage Humbert Jantet, Docteur ès Droits, Conseiller de L’Empereur, & Juge de la Régalie de Besançon\ ». ( Jean-Baptiste Guillaume, Histoire généalogique des sires de Salins au comté de Bourgogne …, Volume II, 1758, p. 61.)
Armes : d’argent, à trois bandes d’azur ; au chef de gueules, chargé d’un lion passant d’argent\ ».
Il existe un autre juge qui connaît des affaires criminelles, appartenant, je crois, à l’une et l’autre magistratures, à la civile ou profane, et à la pontificale ou canonicale. On l’appelle aujourd’hui Régale, et cette charge est remplie par Humbert Jantet, très-savant en droit et en coutumes étrangères, et en même temps homme de cœur et de circonspection\ ». Description de la Franche-Comté par Gilbert Cousin, de Nozeroy (1550), traduite par Achille Chereau, 1866, p. 15.
Mémoires de la Société d’émulation du Doubs, 1891, p. 54-55.
Sur la famille Boutechoux :
Besançon BM 1206. Recueils Boisot. « Papiers concernant plusieurs maisons de la province [de Franche-Comté] ; A-F. XVe-XVIIe siècle. Fol. 309 : Notes généalogiques sur la famille Boutechoux. XVIIe siècle
Les Heures de Guillaume de Seigne, British Library, Harley 2969
Le manuscrit Harley 2969 de la British Library, un Livre d’heures dont la décoration est attribuée au Maître de Spencer 6, fut exécuté vers 1508 à l’occasion du mariage de Guillaume de Seigne et de Claudine Fortier. Plusieurs inscriptions nous renseignent, dont celle du f. 156 (lecture catalogue en ligne de la BL) :
Le lundi vingthuitiesme jour daoust lan mil cinq cens et huit furent espousez en leglise parroichiale de blere guillaume de seigne tresorier de lartillerie et Claudine Fortier fille de monseigneur le tresorier maistre Florimont Fortier,
Au reste les naissances et baptêmes de leurs enfants entre 1514 et 1528 y ont été inscrits aux f. 156-159.
Par ailleurs :
A damoyselle Anne de Seigne dame de Beauchesne (?) et de Boyspateau (f. 1v).
Par la suite le manuscrit échut à une famille Vasselin, sans doute alliée au de Seigne, puisqu’occupant le même fief à Bléré :
Le lundi xxvije iour de octobre mil cinq cens soixante sept une heure apres mynuict nasquit Alexandre Vasselin et furent ses parains Iacques Chappeau sr du grend goustan pres seymes et Pierre Regnault sr de la Bochestiere : et marayne Claude Dargy dame de mesvre et fut baptize en leglise de blere et nasquit A Boys pateau (f. 2); autres notes sur les Vasselin aux f. 158v-161v.
Inscription du XVIe s. : Ces heures apartiene a Mademoiselles decorat////// (f. 2).
London, British Library, Harley 2969, f. 50v. La Visitation. Initiales G (Guillaume) et C (Claude).
Parchemin. 161 f. 210 x 125 (120 x 65) mm. 14 grandes miniatures. Attribuées au Maître de Spencer 6 (Reynaud, p. 343-344)
Bléré (Indre-et-Loire) conserve encore la chapelle mortuaire édifiée vers 1526 par Jehan de Seigne pour recevoir la dépouille de son père Guillaume :
Les origines des Seigne ne sont pas établies avec certitude :
…………………………………………………………………………………
Charles de Grandmaison, \ »La chapelle de Seigne à Bléré\ », dans Réunion des sociétés des beaux-Arts des départements, t. XXV, 1901, p. 83-94 (p. 88-89).
Guillaume de Seigne, seigneur de Boispateau, est attesté trésorier général de l’artillerie en 1518. il exerce encore en 1524 et résigne en avril 1526. Il est remplacé le 2 mai par Florimond Fortier (Catalogue des actes de François 1er, V, p. 375, 760 ; Paris, BnF, Fr. 2008, f. 35)
Manoir de Boispateau ou Bois-Plateau : Il relève au Moyen Age du fief de Saint-Julien de Bléré. Possession de Guillaume de Seigne, il devient lui même un fief en 1522 en échange avec les chanoines d’une maison de Bléré. A partir du XVIIe siècle il est annexé à la terre de BLéré. (Source : Alain Chalon)
Jacques Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d’Indre-et-Loire, Volume I, Tours, 1878, p. 288.
Archives d’Indre et Loire : H 170 : Ratification par Galliot de Seigne, seigneur de Bois-Pateau, commissaire de l’artillerie, de la vente d’une maison à Bléré, faite aux Chartreux par sa mère, veuve de Guillaume de Seigne, 1559.
2 mai 1526 : Provisions en faveur de Florimond Fortier de l’office de trésorier et receveur général de l’artillerie, vacant par la résignation de Guillaume de Seigne (Deseigne) au profit dudit Fortier. Cognac. Paris, BnF, Fr. 5502, f. 9v. (Mention.)
11 juillet 1534 : Déclaration de foi et hommage de Florimond Fortier, sr de Renay, comme procureur de Claude Fortier, sa sœur, veuve de Guillaume de Seigne, sr de Boispateau, pour la seigneurie de Faussesbesses ( Fosse-Besse, paroisse de Bléré), mouvant d’Amboise. Saint-Germain en-Laye (Collections des ordonnances …Original. Paris, AN, Chambre des Comptes de Paris, P12 n° 3969).
Archives royales de Chenonceau, Paris, 1864, p. 82.
Fief de Boisramé, à Bléré
Bibliographie
Description en ligne du ms BL, Harley 2969
A Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, 4 vol., London, 1808-1812, II, n° 2969.
Janet Backhouse, Books of Hours, London, British Library, 1985, p. 58, pl. 57.
François Avril, Nicole Reynaud, Les manuscrits à peintures en France 1440-1520, Paris, Flammarion, 1993, p. 307, 315, 343, 344.
Janet Backhouse, Illumination from Books of Hours, London, British Library, 2004, fig. 32.
Liens vers le maître de Spencer 6 =
New York Public Library Spencer 6
Pentecôte, chez Sam Fogg
CATHERINE D’AMBOISE (1481-1550), La complainte de la dame pasmée contre fortune (chez Christie’s)