Le décrétaliste breton Guillaume Chalop († ca 1370) à l’Université de Paris : un maître ‘moult suffisant’ …
Henri Bohic enseignant les Décrétales, \ »de mane\ », au Clos Bruneau
(c) Ms Amiens, BM, 366 – XVe s. – IRHT / Enluminures
Poursuivant mes recherches sur les universitaires bretons du Moyen Age, j’aimerais faire mention ici d’un maître oublié, mais que j’espère réhabiliter au travers d’une prochaine publication.
Parmi les legentes de mane, c’est-à-dire les baccalaurei qui enseignaient les Décrétales de très bonne heure le matin, in aurora (5/6 h.), à l’Université de Paris, figure à une place très honorable, Guillaume Chalop, clerc du diocèse de Dol. L’Alma mater rappelait ainsi en 1386, plusieurs années donc après sa mort :
Il est vray que la decrétale Omnis utriusque sexus et aucuns autres doivent estre leues à Noël et à Pasques par les docteurs. Et se la lection du matin est la plus solennele, elle est deue aux bacheliers afin qu’il profitent. Et en vérité des plus grans clercs du monde ont leu du matin comme messire Ancel Choquart, le cardinal de Paris, maistre G[uillem] Chalop, messire H[enry] Bouhic, maistre Thomas Payan, maistre Thomas Haudry et maistre Evrart de Tremagon et autres, et est la lection la plus labourieuse de la faculté (CPU, III, 438)
Ainsi, cet enseignement des Décrétales se voyait être confié non pas à des bacheliers novices, mais bien à des maîtres expérimentés :
Et est moult décorée la Faculté (de décret) de la lection du matin, car plusieurs vaillants hommes y ont lu au temps passé, comme le pape Urbain, qui paravant était docteur solennel à Montpellier …. et convient que cils qui lit matin soit moult suffisant …
Dans la liste ci-dessus, pas moins de quatre maîtres bretons. Outre Guillaume Chalop, Henri Bohic – que nous avons déjà étudié (1) – , Thomas Payen (du diocèse de Saint-Malo) et le bien connu Evrard de Tremagon, sur lequel nous avons fait une note sur ce même blog … [ Lien ].
Guillaume Chalop doit êre apparenté au notaire Geoffroy Enguelor, dit Chalop, auquel Elisabeth Lalou a attribué une continuation du Roman de Fauvel (Voir : \ »Le Roman de Fauvel à la chancellerie royale\ », dans Bibliothèque de l’école des chartes, 152, 1994, p. 503-509 [ Lien ]). Sur le personnage voir, entre autres, Boutaric, Actes du Parlement de Paris [ Lien ]
Le rotulus adressé le 4 décembre 1362 au pape Urbain V pour 27 clercs et conseillers du parlement de Paris offre des éléments biographiques essentiels sur Guillaume Chalop. Ainsi, nous apprenons qu’alors âgé de 59 ans (donc né en 1303), originaire du diocèse de Dol, il était clerc et conseiller du roi Jean le Bon, primo in camera inquestarum et tandem in magna parlamenti camera in quo adhuc est de presenti. Maître ès-arts et docteur in utroque jure, il enseigna : 26 an. et amplius sunt elapsi qui adhuc postmodum 2 an. in nonis b. marie parisien. et 11 an. de mane legit continue parisius decretales cum magna et honorabili comitiva.
Chevecier (2) de Saint-Merry de Paris (3), Guillaume possédait plusieurs canonicats : prébendes à Dol, à Rouen, charge pour laquelle il est en compétition (avec Milon de Dormans, qui l’emporta), à Saint-Rieul de Senlis, à Saint-Thomas du Louvre (bénéfice que le duc de Bretagne avait coutume de conférer), à Saint-Marcel de Paris. Il postulait alors pour Amiens ou Coutances…
Canoniste distingué, Guillaume Chalop le fut certainement. Par chance inouïe, ignoré de l’érudit Johannes Friedrich von Schulte (Die Geschichte der Quellen und Literatur der canonischen Rechts, Stuttgart, 1875), un témoin de ses reportationes nous a été conservé dans un manuscrit de la Bibliothèque Carnégie de Reims, 768 (en grande partie exécuté par Guillaume Filastre), manuscrit sur lequel nous reviendrons très largement dans une étude à paraître. Cet insigne codex, étudié minutieusement par la docte Colette Jeudy († 2008, IRHT), porte une intéressante marque de pecia au f. 185 : « Hec pecia est P. Teneyt ». Nous avons identifié ce dernier avec Pierre Teynet, connu pour avoir été licencié in utroque, chantre de Nantes et chanoine de Saint-Aubin de Guérande … Un rotulus du 26 novembre 1378, adressé à l’antipape Clément VII par l’Université d’Angers, porte a des degrés différents, les noms de Pierre Teneyt, de Guillaume Fillastre … et d’Hugues de Keroullay …
(1) Jean-Luc Deuffic, « Au service de l’Université et au conseil du duc : notes sur le canoniste breton Henri Bohic (+ v. 1357) », dans Pecia, 4, 2004, p. 47-101 [ Lien ] – « Henri Bohic, et le receveur Yves de Cleder », dans Notes de bibliologie. Livres d’heures et manuscrits du Moyen Age identifiés, Pecia. Le livre et l’écrit, 7, 2009, p. 57-62 [ Lien ] – Comme exemple de l’influence d’Henri Bohic, voir la publication récente par Rijcklof Hofman des sermons de Geert Groote pour qui Bohic était a major source of information : Gerardi Magni Opera Omnia, Pars II.1. Sermo ad clerum Traiectensem de focaristis – Opera minora contra focaristas, cura et studio Rijcklof Hofman, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaeualis 235, Turnhout, 2011, 653 p.
(2) Chevecier : \ »Dignitaire qui surveille la partie de l’église où est le chevet et qui est chargé du luminaire et de la garde du trésor\ » [ Lien ]
(3) Constant Baloche, Église Saint-Merry de Paris. Histoire de la paroisse et de la collégiale, 700-1910, Paris, Oudin, 1912, 2 vol. numérisé sur Gallica.
Bibliographie : Edouard Fournier, « L’enseignement des Décrétales à l’université de Paris au Moyen Âge » Revue d’histoire de l’Église de France, 26, 1940, p. 58-62 [ En ligne ] – Colette Jeudy, « La bibliothèque de Guillaume Fillastre », dans D. Marcott (éd.), Humanisme et culture géographique à l’époque du Concile de Constance : autour de Guillaume Fillastre, Actes du colloque de l’Université de Reims, 18-19 novembre, 1999, Turnhout, 2002, p. 245-291 (p. 262). Ci-dessous : Henri Bohic remet son ouvrage à Clément VI, Tours, BM, 575, f. 1 (ca 1360) – débat judiciaire, Tours, BM, 575, f. 117 [ (c) IRHT / Enluminures ] :