« … Je me remembre Maistre Jean Binel … »
Le dix-huitième de novembre,
L’an mil quatre cent soixante-cinq,
Fut fait docteur, je me remembre (1)
Maistre Jean Binel, et y vint
Grande abondance de seigneurs
Moult nobles et de grandes valeurs.
L’Université assemblée
Bien festoya cette journée
Et si honorablement que s’en taire
Mieux cy vault que dire du contraire.
C’est ainsi que messire Guillaume Oudin, contemporain, prêtre sacriste de l’abbaye Notre-Dame de Ronceray, relate l’accession au doctorat universitaire de Jean Binel (2).
Un acte du 15 Octobre 1433 fait déjà mention de Jean Binel, seigneur de Lessé, en qualité de trésorier d’Anjou. Né à Saumur, il fut professeur de droit à Angers. « Il fut aussi docteur ès lois, juge ordinaire d’Anjou, et chancelier d’Alençon », ambassadeur à Venise (où il est traité de « famosus doctor »). Dans un compte qu’il rendit en 1486, on trouve la note d’une dépense à laquelle l’Anjou fut taxée pour la représentation du fameux mystère de la passion, composé par Jean Michel, d’Angers. M. de Caignat et le père Montfaucon ont donné le dessin du tombeau (aux Jacobins d’Angers) de Jean Binel, mais se sont trompés en plaçant sa mort en 1464, advenue en réalité à Tours le 18 mai 1491.
Les armes de Binel étaient d’argent à l’aigle éployée de gueules.
René d’Anjou, connaissant les mérites de Jean Binel, le nomma chancelier de Provence, après la mort du vénérable Jean des Martins. Binel lui répondit la lettre suivante :
Sire, je me recommande à vostre bonne grâce, tant et si très humblement comme je puis. Et vous plaise sçavoir, sire, que par Loys porteur de ces présentes, ay receu les lettres qu’il vous a pleu m’escrire, contenant que vostre vouloir est de me commettre en vostre office de chancelier, de présent vacant, par le décès de feu vostre chancelier, à qui Dieu pardoint. Sire, en ce et aultres chouses despiéça (depuis longtemps), ay cogueu et cognoys que de vostre bonté et bénignité vous avez eu et avez vouloir et affection à moy ; car me offrez le plus grant honneur et estat que jamais pourrois avoir, dont je vous remercie, si très humblement comme je puis.
Sire, l’honneur et estat qu’il vous plaist m’offrir je n’ouseraye accepter, pour ce que je sçay et cognois que de moy n’y seriez servi, comme il appartient, et que par adventure vous entendez le devoir estre. Car jamais je ne fus au pays, je ne cognois ne entends la manière de faire et coustumes de par de là, et mesmement n’en n’entends le langage ; et ainsi bonnement ne vous y sauroye servir, au moins comme l’estat et office, qui est en justice le plus grant et le plus honorable de vos pays, le requiert.
Sire, s’il vous plaist que ne croyez pas que le regret de la ville et du pays dont je suis natif, de la maison, de ce petit héritaige que je puis avoir, ne de mes parents et amys de par deçà, ne aussi la crainte de l’air de par delà, qui est peut-être plus gras et plus fort qu’il n’est icy, me le feront faire ; car il n’est chouse que ne voulsisse de bon cueur abandonner et repousser pour vostre service, non seulement mon vaillant, mais aussi bien ma personne et ma vie. Et bien mal me seroit que de vostre grâce me vouldriez avancer en si grant honneur et estat, il vous tournast par mon défault à desplaisir ou domaige.
Pourquoy, sire, vous supplie très humblement, qu’il vous plaise m’avoir pour excusé, et me tenant à vostre grâce, tousjours me mander et commander vos bons plaisirs, et je les accomplirai à mon pouvoir au bon plaisir (de) Nostre Seigneur, auquel je prye qu’il vous doint très bonne vie et longue, et accomplis, sement de vos très nobles désirs.
Escript en vostre ville de Saulmur, le samedi 23e jour d’avril 1475.
Vostre très humble et très obéissant serviteur,
Jean Binel
(Source : Théodore de Quatrebarbes, Oeuvres choisies du roi René, avec une biographie et des notices, I, Angers, 1848, p. cxxx-cxxxi
Notes
(1) \ »Fait de (se) remettre en mémoire, de (se) rappeler qqc., souvenir\ »
(2) Revue de l’Anjou et du Maine, I, 1857, p. 2-3.
Le nom de Jean Binel se retrouve sur plusieurs manuscrits :
Au f. 367 du ms Rouen BM 10 (ancien A32), une Bible du XIIIe s., est un acte de vente aux encheres (1462) de ce manuscrit, adjugé pour la somme de vingt-trois 6cus d’or par « Jean Lemercier, garde de la librairie de l’université d’Angers », à « Maistre Jehan Binel, licencie en loys, seigneur de Lesse » . Il avait appartenu auparavant à Jean de Cherbeye (ou d’Escherbaye), qui 1’avait acheté 40 francs. Une liste de livres de droit, avec les prix auxquels ils avaient été payés, probablement en 1291, couvre le f. 371v.
(C) London, British Library, Burney 209, détail. Marque des Jésuites de Paris.
Un exemplaire incomplet des Institutes de Justinien, Angers BM 334, du XVe s. porte également la marque de Jean Binel : \ »Pro me Johanne Binel, legum minimo doctore\ ». (Catalogue généra, \ »Angers\ », Paris, 1898, p. 312-313)
Angers BM 334. Détail, f. 10. © Institut de recherche et d’histoire des textes – CNRS. Base Enluminures
Enfin, citons à la British Library, sous la cote Burney 209, un Valerius Maximus, Facta et dicta memorabilia, copié en 1463 par Jean Davarant. On peut y lire :
Arietis diuo fauente num(in)e luce tercia Anno incarnac(i)o(n)is do(mini)ce mille(si)mo quadringente(si)mo sexagesimo tercio. Est hic Valerii maximi historiographi complete graficatus liber pro […lignes grattées …] D(omi)no meo colendissi(m)o mag(ist)ro Johanne binel arciu(m) mag(ist)ro ac in legibus licenciato. Me Johanne dauarant et si fas de seip(s)o talia fari foret, arciu(m) mag(ist)ro legu(m) baccalario et tu(n)c t(em)p(o)ris in fructuu(m) universitate amplissi(m)a pro norma(n)nor(um) natione procuratore. Manib(us) protrahente ; Dei genitrici laudes. Amen. (f. 179v) ;
Signature (identique à celle du manuscrit d’Angers) :
Pro Iohanne binel legum minime doctore Binel (f. 181).
Le manuscrit a fait, par la suite, partie des collections de Gilles Ménage (1613-1692), le philologue bien connu. Voir description et bibliographie de ce manuscrit sur le site de la British Library [ Lien ]
Gilles Ménage (1613-1692)