Evrart de Trémagon et Le songe du vergier …
Laurent Brun, directeur du projet ARLIMA, me signalant la vente sur ebay d’un « morceau » de manuscrit du Songe du Vergier, je me propose d’écrire quelques lignes sur l’auteur et les manuscrits de ce texte (et de son original) dont la paternité a fait l’objet de débat depuis près d’un siècle maintenant.
Détail du manuscrit sur ebay
Le Somnium Viridarii peut être considéré comme le brouillon du Songe du Vergier. Les travaux récents de Marion Schnerb-Lievre l’ont définitivement attribué au breton Evrart de Tremagon. Ce dernier le composa – sans doute terminé en 1376 – à la demande du roi Charles V comme propagande de son indépendance vis-à-vis du pape Clément VII.
Le Songe du Vergier en est une traduction française, largement remaniée pour une plus grande clarté tant du point de vue de la composition même que de sa forme. Cette compilation inondée de citations, de renvois, « érudite », met en dialogue un clerc et un chevalier, prétexte à un « plaidoyer de la politique royale ». Elle est une confrontation des rapports entre les autorités ecclésiastiques et séculières.
Voir le c.r. de Le Songe du vergier, édité d’après le manuscrit Royal 19 C IV de la British Library par Marion Schnerb-Lievre, Paris, C.N.R.S., 1982. 2 vol. in-8°, XCII-503 et 497 pages (Sources d’histoire médiévale publiées par l’Institut de recherche et d’histoire des textes.) par Jacques Krynen sur le site Persée.
Les manuscrits utilisés pour cette édition :
¤ London BL Royal 19 C IV
¤ Paris BnF Fr. 537. XVe s. (1452). Détail, ci-dessous, f. 1:
(c) Paris BnF
¤ Paris Mazarine 5322. Ci-dessous détail d’une enluminure, f. 2v:
(c) CNRS-IRHT / CINES / Bibliothèque Mazarine / Liber Floridus
L’auteur : Evrart de Tremagon
Docteur in utroque, doyen du chapitre de Chartres, Evrart de Tremagon fut nommé à la tête du diocèse de Dol par le pape Clément VII le 17 octobre 1382. Il fit sa soumission à la Chambre apostolique le 17 novembre de cette année, mais protesta ne devoir que 3000 florins et non 4000 pro communi servicio. Au reste, il mourut n’ayant acquitté qu’une infime partie de cette somme.
Avant de porter la mitre, il fut conseiller du roi, comme on le voit par un acte daté d’octobre 1374. En 1384 il a procès au Parlement de Paris avec Guillaume de Chamborant qu’il avait accusé d’avoir fait assassiner son frère Yvon.
Le 7 juin 1385 il est présent à la ratification d’une donation faite par le duc de Bretagne Jean IV, qui le nomma parmi ses exécuteurs testamentaires le 31 octobre de cette même année. En mai 1386 il assiste aux Etats de Bretagne.
Il fonda dans sa cathédrale une rente annuelle de 70 sous pour l’établissement d’une procession que les chanoines devaient faire tous les samedis après complies:
Item, quedam est processio que fit omnibus sabbatis post completorium, quam fundavit bone memorie Evrard de Tremaugon … in qua quidem processione cantatur Inviolata, et post, de profundis, cum oratione fidelium …
Docteur en droit civil et droit canon, Evrart de Tremaugon professa à Paris entre 1369 et 1373. Trois de ses leçons ont été conservées et on fait l’objet d’une édition:
Gérard Giordanengo, Marion Schnerb-Lièvre, Trois leçons sur les Décrétales (Sources d’histoire médiévale, 33), cnrs, Paris, 1999.
On trouvera sur le site ARLIMA une notice avec bibliographie très détaillée et une liste des manuscrits du Songe du Vergier.
A consultera également, pour un contexte plus local: Le Songe du Vergier et la Bretagne, dans Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1/2, 1933.
Evart de Trémagon eut un frère, écuyer du duc d’Orléans en 1398.
Il y eut certainement confusion entre les patronymes Trémigon (env. de Combourg) et Trémaugon (Trémagon).
Elizabeth Gonzalez, dans Un prince en son Hôtel, Les serviteurs des ducs d’Orléans au XVe s., Publications de la Sorbonne, 2004, fournit une très intéressante biographie du chevalier Jean de Tremagon (+ 1396), sans doute apparenté à Evrart, et qui fut chambellan du duc d’Orléans. Il épousa Jeanne de Souday, fille de Triboulard II de Souday, seigneur de Glatigny et de Boisvinet, homme d’armes de la suite du roi Charles VI.
De même Guillemette de Tremagon : « Guillemette de Trémagon, damoiselle de Valentine Visconti, qui, elle aussi, bénéficia de la largesse ducale à l’occasion de ses noces célébrées en 1395 [London BL, Add. Ch. 2139-2140-2141, 2144 et 2718] ? 1395/02/10, Jean Poitevin, roi des ménestrels de France, rend (q) en son nom et en ceux de ses compagnons de 20 l.t. reçues de Jean Poulain « pour avoir composition faicte a cause de leur droit qui a eulx appartenoit pour les robes des noces de Guillemette de Tremagon qui nagaires ont esté faiz en la ville de Paris et dont ils ont esté menestrelx pour la feste » [London BL, Add. Ch. 2139]
p.s. Je remercie André-Yves Bourgès pour ses commentaires, toujours avisés, et la référence aux travaux de Louis Le Guennec. Il y a peut-être lieu de mentionner également le toponyme Trémagon en Plougar (Finistère).
Bonjour.
Bravo pour votre intéressante notice sur Evrard de T et le “Songe du verger“.
1/ Je possède depuis peu une quittance datée 12/11/1401 => Yvan Tremagon escuier eschanson du duc d‘Orléans : la somme de 30 livres tournois reçue de Johan Poulain trésorier général du duc d‘Orléans.
2/ Je ne suis pas certain qu‘il y ait systématique confusion entre les noms Tremagon et Tremigon.
Bien cordialement. JC d‘Ozouville
Bonjour Jean-Luc,
Et heureux de vous retrouver, car la disparition corps et biens de votre précédent blog m’avait inquiété et attristé.
En ce qui concerne Evrard de Trémagon, vous omettez de signaler son origine léonarde et les probables liens que sa famille entretenait avec la famille des seigneurs de Léon, dont un cadet, Evrard, né vers 1316, pourrait avoir été le parrain de l’écrivain.
La famille de Trémagon alias Trémangon ou Trémaugon était peut-être originaire de Bourg-Blanc. L. Le Guennec inclinait pour Plounevez-Lochrist (La Dépêche de Brest, 15 avril 1933) ; mais, comme il l’indique lui-même, la famille de Trémaugon locale avait été anoblie tardivement (1467), tandis qu’il est manifeste que celle de l’auteur du Songe du Verger appartenait dès le XIVe siècle à la noblesse chevaleresque : le frère d’Evrard, Yvon de Trémangon, est qualifié miles dans les actes ou « chevalier » et « messire ».