Un voyage dans le temps : les heures d’Isabeau de Pontbriand (Rennes, BM, ms. 1277)
(c) Bibliothèque Rennes Metropole
Exécutées vers 1430, les Heures d’Isabeau de Pontbriand (+ 1449) nous offre un parcours assez exceptionnel dans le temps jusqu’à la première moitié du XIXe s., époque de son dernier possesseur connu, l’avocat Jacques-Marie Carron de La Carrière (+ mort à Rennes le 26 novembre 1839, âgé de 86 ans).
Le manuscrit 1277 de la Bibliothèque de Rennes Métropole est l’oeuvre probable d’un artiste local, dont Eberhard König a souligné le \ »charme très particulier\ » des miniatures. L’usage liturgique des ces heures étant celui de Saint-Malo on peut imaginer l’enlumineur issu de l’ancienne cité portuaire très prospère au Moyen Âge, mais rien d’assuré sur ce point. Ce que l’on sait avec certitude c’est qu’il fut possédé (et peut-être exécuté spécialement pour elle) par Isabeau de Pontbriand dont le nom est inscrit en lettres d’or en bout-de-lignes des litanies (f. 61v-62), d’une façon très originale :
Cez matinez sont [a] Ysabel du Pont briend,
qui les trouvera si les range sans les gardez longuement
et il ara sans faille
une bonne trouvaille
d’un pot de vin
ou de servaise
et sera a bien
lieu bien aise.
Au f. 140 une nouvelle note précise qu’Isabeau donna le livre d’heures à son fils Olivier de Villarmoye (ou Villermaye) qui lui même le transmis à sa nièce Jacquette Berthelot :
Ces heures furent a dame Isabeau
de Pontbriand dame de Beaulieu
en son temps et les donna Olivier
de Villarmoye son fils a Jacquecte Berthelot sa
niepce.
Ces heures appartiennent a Jacquecte
Berthelot fille de Jehan Berthelot et
Marguerite Jehanne Turpin quelle Jacquecte
fut née le vign et cincqme jour
de septembre 1489.
Jacquette Berthelot épousa Jean de Carcaing. Aussi les premières pages du manuscrit portent, entre 1510 et 1530, les baptêmes des 11 enfants du couple sur le modèle suivant :
Le cinquiesme jour d’aougst lan mil cinq cens dix fut batizé Janne Decarcaing fille de Jean Decarcaing et de damoiselle Jacquette Berthelot sa femme sieur et dame du Chastelet et la Mesnardiere et fut parain noble homme Jan de La Sercelle ? sieur de … et furent maraines Louyse Le Senechal dame de La Rouerye et Janne du Pontavice.
A sa mort, Jacquette Berthelot transmet le livre d’heures à sa petite fille Françoise de Carcaing, née en 1559, enfant de Gilles de Carcaing (né en 1519/1520), lequel épousa en 1543 Julienne de Horlande (née en 1524). Au reste, ces derniers ont noté aussi entre 1543 et 1566 les baptêmes de leurs 16 enfants.
(c) Bibliothèque Rennes Métropole
A son lit de mort, Françoise de Carcaing fait don du livre d’heures à sa soeur aînée Guillemette de Carcaing (née en 1547) qui épousa en 1574 Guillaume de Languedoc. Les plats de la reliure du manuscrit porte son nom, avec des fers représentant la Crucifixion et l’Annonciation:
Et ladicte Guillemette de Carcaing a donné les / presantes heures a son filz Geffroy de Languedoc a son deceix qui fu la mardy 13e jour de febvrier 1624 environ onze heures du soir.
Et ledit Geffroy de Languedoc les ayant laissées par son decez a damoiselle Janne Pihier son espouse elle les a données a Gilles de Languedoc son fils priez Dieu pour eux ». (d’une autre main) « et Gilles de Languedoc les a données a Janne de Languedoc sa fille espouse de Me Bain procureur du Roy de police.
Apres la mort de ladite de Languedoc ces heures passèrent entre les mains de Gilles-Joseph Bain, sr de Bonabry, son fils, né à Rennes le 8 juillet 1698 qui y epousa en 17[blanc] Anne-Jeanne Regnaud; et après la mort dudit Gilles-Joseph Bain arrivée le [blanc] les mêmes heures appartinrent à Guy-Jean-Joseph Bain, son fils, né à Rennes, paroisse de Toussaint le 3 decembre 1730, mort à Chateaubriand le 17 mai 1797, il avoit épousé le [blanc] decembre 1767 paroissse d’Izé près Vitré Catherine Thuillier morte au dit Chateaubriand le 22 decembre 1773.
Le dit Guy-Jean-Joseph Bain donna les dites heures en 1794 à Jacques-Marie Carron son neveu à la mode de Bretagne, comme fils d’Hélène-Perrine Leloué, cousine germaine dudit Bain, laquelle Leloué étoit fille d’Anne-Jeanne Bain, soeur dudit Gilles-Joseph Bain cidessus et femme de Vincent Yves Leloué. Priez Dieu pour leurs ames.
On peut ainsi suivre avec une certaine émotion le parcours et l’histoire de ce livre d’heures sur près de 4 siècles, des années 1430, lorsqu’il appartenait à Isabeau de Pontbriand, jusqu’au décès, le 26 novembre 1839 à Rennes, de l’avocat (historien) Jacques-Marie Carron de la Carrière.
Manuscrit numérisé sur les Tablettes Rennaises
Acquis en 1985 à la vente Sotheby’s du 26 novembre, lot 128.
Nous préparons une édition complète des annotations de ce livre d’heures, et une étude sur l’histoire des différents possesseurs.
Biblio :
\ »Nobiliaire de Bretagne dressé en 1788 par Carron\ », dans Le cabinet historique, t. XII, 1866, p. 88-94, 118-120, 171-173, 206-212. Paul Parfouru, « Inventaire des archives de la paroisse Saint-Sauveur de rennes par Gilles de Languedoc, 1720 », dans Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. XXVIII, 1899, p. 205-284. Gauthier AUBERT, « Gilles de Languedoc (1640-1731) bourgeois de Rennes, greffier de la Communauté de ville et son Recueil historique », dans Bulletin et Mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. CII, 1999, p. 225-246 (renvoi à son mémoire de maîtrise de 1993). Trésors des bibliothèques de Bretagne : exposition, Pontivy, 1989, n° 23. Manuscrits à peintures, XIIIe-XVe siècles : exposition, espace Ouest-France, Rennes, 18 septembre-18 octobre 1992, p. 43-45.