« Tant que puysse » : le Livre d’heures d’Antoinette de Marquais (Baltimore, Walters Art Museum, W 243)
Le manuscrit Baltimore, Walters Art Museum, W 243, conservé dans une précieuse reliure d’époque, est un Livre d’heures de la seconde moitié du XVe siècle à l’usage de Tours, exécuté selon le catalogue dans l’est de la France (?). Pour ce qui est de la décoration, une seconde campagne s’est efforcée de produire plusieurs miniatures (voir ci-dessous, f. 65, par exemple) dans le style des années 1400-1420 : Lilian M. C. Randall utilise le terme \ »old-fashioned\ ». L’ouvrage se compose de 154 f. de 192 sur 140 mm, et est illustré de 12 grandes miniatures. Les Heures de la Vierge et l’Office des morts sont tourangeaux. On remarque au calendrier la fête de la dédicace de l’église Saint-Maurice au 7 janvier, sanctuaire qui fut la première cathédrale de Tours, édifiée par l’évêque Lidoire, prédécesseur de saint Martin. De même s’y trouvent les fêtes de saint Gatien (celle 19 octobre – Revelacio -, et celle du 18 décembre). Plus curieuse est la présence au 2 mars d’un abbé \ »Jovinus\ », que Randall identifie avec le saint breton Jaoua, connu comme évêque de Léon et premier abbé du monastère cornouaillais de Daoulas (Finistère) faisant, bien entendu, partie de la province ecclésiastique de Tours. Le copiste de ce manuscrit était-il d’origine bretonne, du pays de Léon ? Il faut pourtant se garder de prendre pour argent comptant les calendriers de ces Livres d’heures dont certains contiennent à n’en pas douter de grossières erreurs. D’autre part, à cette date on honorait aussi à Rome les martyrs Jovinus et Basileus …
Tombeau de saint Jaoua à Plouvien (Finistère) source
© Walters Art Museum, W 243, f. 65
Au f. 44v du manuscrit du W.A.M. une main a tracé :
tant que puysse / anthoinette de marquays
Antoinette de Marquay (anciennement Marquais), (d’or, fretté de gueules) dame du lieu (près de Bailleul-aux-Cornailles, au Nord/Ouest d’Arras), épousa Pierre d’Habarcq, chevalier, seigneur du village de ce nom et d’Aubigny la Marche, capitaine des ville et cité d’Arras, décédé le 23 octobre 1535, à 5 heures du soir. Ils furent inhumés dans l’église paroissiale d’Habarcq (Pas-de-Calais) qu’ils avaient fait bâtir, sous un tombeau exécuté par le sculpteur François de Vernay.
En 1835, le chœur fut pavé en pierres bleues. Ce travail mit à jour sous le marche pied de l’autel de la Sainte-Vierge, l’entrée d’un caveau où l’on trouva trois cercueils en plomb et très-anciens, renfermant, dit-on, les corps de Pierre de Habarcq, de Marie de Habarcq et de Gilles de Lens. Marie, héritière, épousa en 1550 Gilles de Lens, chevalier, baron d’Aubigny et gouverneur de Béthune (1).
Le Père Ignace qui a visité la plupart des lieux dont il parle, nous apprend qu’au moment où il écrivait, on voyait dans l’église le mausolée de Pierre de Habarcq enchâssé dans la muraille du sanctuaire, sous une voûte, du côté de l’évangile. Plusieurs ouvrages en pierres très-bien travaillées en faisaient les ornements. Pierre de Habarcq était représenté avec sa femme sous un marbre autour duquel on lisait l’inscription suivante :
Ci gisent Pierre d’Habarcq, chevalier, seigneur d’Habarcq, d’Aubigny-la-Marche, Villers-Châtel, capitaine de la garde de l’empereur, capitaine des ville et cité d’Arras, et Antoinette de Marquais, dame dudit lieu, de Warlus, laquelle mourut le 24 novembre 1529 et lui le 23 octobre 1530\ » (ou 1535). Source.
Source : Casimir de Sars de Solmon, sur le site de la BM de Valenciennes
22- Pierre de Habarcq, sr du dit lieu, Villers-Castel, … et Aubigny, gouverneur d’Arras mort en 1535. Il avoit épousé Antoinette de Marquais, dame héritière du dit liue, de Givenchy et de Colocamp, porte d’or, fretté de gueules, fille de Pierre de Markais, de Neufville, et d’Anne de Cotteret*.
* D’autres sources la donnent fille de Antoine de Marquais et de Bonne Le Borgne.
A Pierre Lambert, paintre, pour six grans blazons faicts sur pappier aux armes de feu Pierre de Habarcq, escuier, maistre d’hostel de mond. sgr, pour servir à ses oxèques (obsèques), a esté paié le 22e jour de septembre xv patars. (La Picardie, Volume 6, 1860, p. 556).
Autres inscriptions sur le Livre d’heures :
Motto et nom : \ »Votre sans plus / trazegnies\ » (f. 44v) ( = Le manuscrit London, British Library, Add. 41322, copié en France au début du XIVe siècle, porte 3 annotations de membres de la famille de Trazegnies, dont Jean III, chevalier de la Toison d’or, seigneur de Semeries et châtelain d’Ath dans le Hainault (1470-1550) : \ »Che livre est a mes’. Jeh. de trazeg. Sr. dirchonwez et lacheta a mons a Robert avalleur de vin, en septembre lxx\ » [1470]. Les armes de cette famille se trouvent sur les fermoirs du manuscrit. Noëlle-Laetitia Perret, Les traductions françaises du De regimine principum de Gilles de Rome, Brill, 2011, p. 151. Voir également le Paris, BnF, Fr. 23927 (Tractatus de origine, natura, iure et mutationibus monetarum) avec les armes de cette famille (ci-dessous) [ lien Hanno Wijsman – Luxury Bound ]
\ »Chette heure sont a / madame Darq\ » (f. 1)
f. 1 : \ »A madame / De Dudzelle / 1571\ » (= peut-être de la famille de Ghistelles, de la branche des seigneurs de Dudzeele ?)
f. 15v : \ »Votre bonne cousinne / Ysabeau Descorney\ » — \ »Votre bon amy / Jacques de Luxembourg\ » / Nul Ne la / J de luxe[m]bourg\ » (= Les \ »Jacques\ » sont nombreux dans la famille de Luxembourg …. Peut-être Jacques Ier de Luxembourg, seigneur de Fiennes et de Gavre, fils ainé de Thibaut, frère de Jean, cité ci-dessous, qui épouse Marie de Berlaymont (+ 1529), dame de Pommereulx, inhumés aux Jacobins de Douai). En 1473, Jacques est de ceux qui transportent le corps de la duchesse Isabelle de la chartreuse de Gosnay près de Béthune à celle du Champmol, près de Dijon. \ »Il servait comme conseiller – chambellan à la cour Charles le Téméraire et à celle de Marie de Bourgogne et de Maximilien. En 1479, ce dernier le nomme maréchal de l’ost et capitaine de Douai. Une année auparavant, en récompense de ses services Jacques avait été déjà été élu, lors du chapitre de Valenciennes, chevalier de la Toison d’Or\ ». [ source ]
f. 30v : \ »fille qui bien vos aime / Jaquelyne Descorney\ » = Jacqueline de Gavre, dame d’Escornaix, (d’or au lion de gueules, armé, larapassé et couronné d’azur, à la bordure engrôlée de sable) femme de Jean de Luxembourg, comte de Sottenghien, fils de Thibaut de Luxembourg, seigneur de Fiennes et de Philippote de Melun, mort à Chypre en 1485, sans postérité.
f. 74 : \ »Votre mary qui sera / philippes de habarcq\ » = Philippe de Habarcq, chevalier, mari d’Antoinette de Lalaing, père et mère de Pierre d’Habarcq.
Cette inscription semble indiquer que le Livre d’heures fut primitivement entre les mains de Philippe et d’Antoinette. Les de Lalaing ont une grande tradition bibliophilique …
Philippe, chambellan et conseiller du roi de France, était le fils d’Antoine de Habarcq et de Marie Jeanne Le Josne Contay ; Antoinette, fille de Josse de Lalaing († 1483) et de Bonne de La Viefville. Nous avons décrit sur ce blog, les Heures de Josse et de sa femme, Bonne [ lien / link ]
Philippe fit promesse en 1482 de maintenir la paix d’Arras (Lille, ADN, B 359)
Autres Armes peintes sur le Livre d’heures: aux f. 16, 79, 90 : écartelé, 1 et 4, fascé d’or et d’azur, de huit pièces, chargé en chef de trois annelets de gueules ; 2 et 3, de sable, au chef d’argent (= La Viefville et Milly, selon M. Pastoureau). Jeanne de Milly était aïeule de Bonne de la Viefville.
Armes non identifiées : f. 65, d’argent à la fasce de sable, accompagnée en chef de deux fleurs de lys de gueules, une autre en pointe ; f. 31, de sinople à la fasce de gueules ; f. 73v, d’hermines sur champ d’argent à trois chevrons.
(1) Avant la Révolution se voyait dans le chœur de l’église des Récollets d’Arras un mausolée : Gilles de Lens y était représenté à genoux, vêtu d’une cotte à ses armes (écartelé, d’or et de sable, timbré d’un heaume de profil surmonté d’une couronne de marquis, avec un cygne pour cimier) ; sa femme, Marie de Habarcq, était également agenouillée à ses cotés. Sur le socle du monument on pouvait lire :
Cy gisent les corps de hault et puissant seigneur Messire Gilles de Lens, au jour de son trépas chevalier, baron et seigneur d’Aubigny le Conte, seigneur d’Aix, Raymondrie, Grand Fossé, Vermelles, Gouy, Frémicourt, Blavincourt, Coges en partie, gouverneur et capitaine des ville et chasteau de Béthune, et noble dame Madame Marie de Habarcq sa compaigne, à cause d’elle seigneur etc.. lesquels allèrent de vie à trespas, à savoir ledit seigneur le Vendredi XXIIIIe jour de Mars 1563 avant Pasques et lad. dame le Xe jour d’Avril 1570. Pries Dieu pour leurs ames.
(Paris, BnF, Fr. 8238, f. 110.)
C’était probablement le cœur de Gilles de Lens et celui de Marie d’Habarcq qui avaient été déposés dans l’église des Récollets d’Arras car leurs cercueils en plomb se trouvaient dans un caveau de l’église d’Habarcq [ source ]. Une inscription conservée au Musée d’Arras énumère encore tous les biens de Gilles de Lens :
\ »Cy gist noble et puissant seigneur Messire Gilles de Lens, chevalier, en son temps gouverneur et cappitaine des villes et chastiau de Béthune, cappitaine de deux cens chevaulx, Sr d’Aix, Grand Fosse, Gouy, Loges, Bavincourt, beaumes, Pourchelet, Menricourt, Bully, Noiellette, Baron d’Aubigny le Comte et à cause de noble et puissante dame Madame Marie de Habarcq sa compaigne, Sr et fondateur de Ceens, Sr de Habarcq, baron d’Aubigny la Marche, Noiellette, Yzes, Agnez, Villers Castel, Le Vigne les arras, Givenchy le Noble, Wionville, Markais, Colleincamps, Warlus, Noevfuiroeul, Peti Dragon, Monchiet et Pumiers ; qui trespassa le vingt quatriesme de mars mil cincq cens soixante trois. – Pries Dieu pour son ame\ » (Épigraphie du département de Pas-de-Calais, Volume 1, p. 89).
Tableau généalogique
Philippe de Habarq x Antoinette de Lalaing
|
Pierre de Habarq (+ 1530 ou 35) x Antoinette de Marquais
|
Marie de Habarq, dame héritière, x (ca 1530) Gilles de Lens, sr d’Aix, baron d’Aubigny
|
2 garçons et 4 filles
Biblio : Lilian M. C. Randall, Medieval and Renaissance Manuscripts in the Walters Art Gallery, vol. II/1, France, 1420-1540, 1992, p. 190-194, n° 138.
L’église paroissiale d’Hoogstraeten (Anvers) conservait des vitraux représentant Philippe de Habarcq et sa femme Antoinette de Lalaing (chapelle de la Sainte-Vierge, ci-dessous), et Josse de Lalaing et sa femme Bonne de la Viefville, verrières détruites en 1944.
[ source ]
Documentation sur la famille d’Habarcq : Archives des baronnie et château de Lucheux (pdf)
Château de Villers-Châtel (source)
© Paris, BnF, Fr. 23927. Frontispice, avec les armes de Trazegnies : bandé d’or et d’azur de six pièces, à l’ombre de lion de sable, brochant sur le tout, à la bordure engrêlée de gueules
Je me permets de vous signaler que dans le catalogue de la librairie de Marie de Hongrie rédigé en 1565 (publié par Gachard), se trouve à la fin une longue série de manuscrits qui sont explicitement renseignés comme "les livres venans de Habarcq". Bien cordialement. Anne Dubois
Juste une petite précision. L’inventaire de la librairie de Marie de Hongrie en 1556 mentionne plusieurs manuscrits (et/ou incunables?) sous la mention "les livres venant de Habarcq". Il semble que le manuscrit Bruxelles, KBR 9390 (Le spirituel jeu de la paume, du XVe s.) que vous mentionnez soit un de ces manuscrits (à vérifier…).
Bien cordialement
Anne Dubois