10 Mar 2011
Jean-Luc Deuffic

Les Heures du « Maître aux Fleurs » : pour un commanditaire breton ?

L’enluminure flamande a engendré d’admirables artisans et les noms de Simon Marmion, Simon Bening, Rogier van der Weyden, Gerard David, Jan van Eyck, et tant d’autres, restent attachés à de superbes productions.

Nous aimerions simplement parler ici d’une oeuvre bien particulière, les Heures du Maître aux Fleurs, un Livre d’heures en deux volumes conservé à la bibliothèque parisienne de l’Arsenal, ms 638/639, auquel ont collaboré :
<> le Maître du Livre de prière de Dresde (ca 1465–1515) à qui l’on doit entre autres : Livre d’heures du Fitzwilliam Museum ; Heures de Jean Carpentin, seigneur de Graville ; Heures, Jean Paul Getty Museum ; Bréviaire de la reine Isabelle de Castille (1480, London, BL, Add. 18851 ; Pierpont Morgan Libary M 1077 (R. S. Wieck, Painted Prayers, 1998, n° 72) ; Livre d’heures de la BL, Egerton 1147; etc. ). Nommé à partir d’un Livre d’heures conservé à Dresde (Dresden, Sächsische Landesbib., A311 ; plus 2 miniatures détachées à présent au Louvre (Paris), inv. 20694 et bis), actif à Bruges à partir de la fin du XVe s., cet enlumineur prolifique  a travaillé sur une cinquantaine de manuscrits, surtout apprécié pour ses vignettes illustrant les marges des calendriers, où son art s’est pleinement épanoui.  
<> le Maître des Livres de prières ca 1500, connu notamment par un exemplaire du Roman de la Rose (c. 1490-1500, Londres, BL, Harley 4425), sans doute commandé par Engelbert II de Nassau, courtisan de Charles le Téméraire. 
<> un \ »disciple\ » de Simon Marmion

Les Heures du Maître aux Fleurs, acquises par M. de Paulmy (1722-1787, fondateur au XVIIIe siècle de la Bibliothèque de l’Arsenal) avaient été jugées par leur acheteur : Ce beau manuscrit en deux volumes ne m’a couté que deux louis, mais il vaut davantage… 
Si la critique s’est surtout emparée de la décoration de ces Heures, l’identité de son commanditaire n’a jamais, il me semble, été abordée. L’étude du calendrier latin pourrait cependant nous mettre sur une piste. En effet, une remarque s’impose : la présence caractéristique de saints bretons, particulièrement nantais ne peut être le fait du hasard. Voici cette liste  :
Janvier
8 Felix ev. (Nantes)
29 Gildas (Bretagne, Nantais)
Février
8 Salomon m. (Bretagne) 
Mai
19 Yves conf (Bretagne)
24 Donatien ev. (Nantes)
Juin
17 Similien ev. (Nantes)
18 Hurnei conf. (sic, pour Hervé, Bretagne, mais honoré à Nantes, reliques. Le copiste a-t-il mal lu son modèle ?)
21 Meen ab. (Bretagne)
Juillet
12 Turiaw (Thuriaui epi) (Bretagne)
Août
16 Armel conf. (Bretagne)
Octobre
24 Martin ab. (Nantais, Vertou)
29 Yves conf. (Bretagne)
Novembre
15 Malo ev (Bretagne)
Décembre
12 Corentin ev (Bretagne)


© Paris, Arsenal, 638, f. 12v. Décembre. Corentini, au 12. Maître du Livre de prière de Dresde

Nous avons déjà souligné à plusieurs reprises les liens culturels entre Flandre et Bretagne (voir dernièrement nos Notes de bibliologie, p. 292-293) qui ont conduit plusieurs nobles ou bourgeois bretons a passer commande de manuscrits auprès des ateliers flamands.  Les Heures à l’usage de  Gand ou Bruges des malouins Jean de Noual et Jeanne Mayngart ont ainsi été illustrées par le Maître de l’Ancien Livre de Pières de Maxilmilien 1er, et le Maître des Livres de Prières. Voir encore cet autre Livre d’heures à l’usage de Saint-Malo, Bruges, ca 1470 (Sotheby’s, 2001, lot 42). Il ne serait donc pas étonnant que les Heures du Maître aux Fleurs soit une commande bretonne…

Les relations de la Bretagne avec la Flandre avaient commencé dès le xiiie siècle. Elles se développèrent au xve siècle, grâce à l’alliance de François II avec Charles-le-Téméraire. Les Bretons fréquentaient surtout les grandes foires de Bergues, Bruges et Anvers. Celle de Bergues commencait huit jours après Pâques ; celle de Bruges s’ouvrait à la Sainte-Croix de Mai ; celle d’Anvers arrivait trois jours après la Pentecôte. Elles duraient chacune trois semaines. Les marchands y affluaient de toutes les parties de l’Europe. Les Bretons y portaient du drap de Rennes, du canevas de Vitré, de la toile et du sel. Ils achetaient de la mercerie et de l’épicerie, de la cire, de l’étain, du plomb, de l’alun, de la couperose, de la noix de galle, du fil de fer, du laiton, du gratte-fil de laiton, de la tôle, du cuivre, toute espèce de quincaillerie. Ils faisaient même des provisions de harengs. Parmi les négociants habitués à fréquenter ces foires figurent André Bernadaie, do Rennes, Bertrand Lebreton, Jean Ravenel, Macé Delaunay, de Vitré, Pierre Calays, Guillaume Loisel, Jean Maillard, Georget Day, Guillaume Lucas, Jean Legouz, Georget Lize, de Rennes. Tous étaient de riches négociants, qui figuraient parmi les notables de leur ville. A leur compagnie s’ajoutaient des marchands de Dol, Dinan, Montfort, Montcontour, Saint-Malo, Morlaix. Saint-Brieuc, Quintin, Tinténiac. Ils avaient en Flandre des facteurs et des commis chargés de veiller à leurs affaires, des correspondants qui emmagasinaient leurs marchandises. Ils ramenaient en Bretagne de grosses cargaisons, qu’ils vendaient aux foires de Rennes (M. Dupuy, L’industrie et le commerce en Bretagne au XVe siècle, dans Bulletin de la Société académique de Brest, VI, 1879-1880, p. 67).

Description du manuscrit de l’Arsenal :
Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de l’Arsenal, I, p. 482-484.
Sur la base Luxury Bound d’Hanno Wijsman http://www.cn-telma.fr/luxury-bound/manuscrit2538/

Pour l’étude de la bibliothèque de Paulmy, qui fut à l’origine de la bibliothèque de l’Arsenal, on consultera, entre autres : Antoine-René d’Argenson, marquis de Paulmy : 1722-1787, Exposition à la Bibliothèque de l’Arsenal (24 juin-31 août 1987), Paris, Bibliothèque nationale, 1987, [20] p., portr., couv. ill.  Danielle Muzerelle, « La bibliothèque de Monsieur le Marquis de Paulmy [suivi de quatorze lettres inédites du Marquis de Paulmy] », dans Voyages de bibliothèques. Actes du colloque des 25-26 avril 1998 à Roanne [organisé par l’] Institut Claude Longeon Renaissance et Age classique, Université Jean Monnet, Saint-Etienne ; textes réunis par Marie Viallon, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999.

Biblio :
Henry Martin et Philippe Lauer, Les principaux manuscrits à peintures de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris (Bulletin de la Société française de reproductions de manuscrits à peintures, 11), Paris 1929, p. 59 (ill. 84 : f. 106, 111)
Paul Durrieu, La miniature flamande au temps de la cour de Bourgogne (1415-1530), Bruxelles, 1921, n° 82 (f. 48)
Antoine De Schryver, ‘De miniatuurkunst te Gent’, Gent. Duizend jaar kunst en cultuur, exhib. cat., Ghent 1975, p. 323-396, n° 625b
Georges Dogaer, Flemish Miniature Painting in the 15th and 16th centuries, Amsterdam, 1987.
Bodo Brinkmann, Die flämische Buchmalerei am Ende des Burgunderreichs : der Meister des Dresdener Gebetbuchs und die Miniaturisten seiner Zeit, 2 vol., Turnhout 1997, n° 37, p. 13, 305-307, ill. 308-310.
Elisabeth Antoine et al., Sur la terre comme au ciel. Jardins d’occident à la fin du Moyen Âge. Catalogue, Paris 2002, n° 99.
Anne-Marie Legaré, « The Reception of the Dresden Prayer Book Master in the Hainaut », dans J. Hamburger, A. Korteweg (eds.), Tributes in Honor of James H. Marrow Studies in Painting and Manuscript Illumination of the Late Middle Ages and Northern Renaissance, Brepols, 2006.

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